Étonnant personnage que Gabriele d’Annunzio (1863-1938), « l’animal le plus bizarre, le plus réticent de la littérature italienne » disait de lui Giorgio Manganelli. Poète adulé, esthète plutôt que dandy, cinéaste, séducteur incorrigible, cet expert en voluptés (L’Enfant de volupté, 1892) avait choisi de faire de sa vie une œuvre d’art. Mais ce don Juan était également un homme d’action. Quand, en 1914, la guerre éclata, lui qui vivait en France – où il s’était réfugié pour fuir ses créanciers et échapper à la prison – s’engagea corps et âme en faveur de l’intervention de son pays auprès de la France, ce qu’il fit effectivement en mai 1915. D’Annunzio, alors âgé de 52 ans, se lança à corps perdu dans cette guerre.
Officier émérite, aviateur héroïque, il brave le danger, l’accable même de son mépris, espérant secrètement que la guerre lui donne une belle mort. Elle ne lui prendra qu’un œil et l’alourdira de quelques médailles en lui donnant l’occasion de multiplier actes de bravoure et bravades. Ainsi, ce pied de nez aux Autrichiens de février 1918 que relate La Beffa di Buccari, La Farce de Buccari, un port croate aujourd’hui appelé Bakar.
Dans le récit qu’il en fait – un récit pétri de sentiments fougueux, de mentalité épique, de gourmandise lexicale et d’esprit esthétisant –, D’Annunzio nous conte ce raid audacieux où l’héroïsme et la moquerie vont de pair. Une entreprise de corsaires consistant à aller narguer la flotte autrichienne là où elle se croyait le plus en sécurité, au fond de la baie de Buccari. Trois vedettes vont profiter de la brume pour s’approcher au plus près de leur cible et lancer leurs torpilles mais aussi – et là est « la beffa » – trois bouteilles scellées aux couleurs de l’Italie, contenant chacune un cartel, rédigé de la main de d’Annunzio et plein de mépris pour les Autrichiens. Une insolence du poète et un raid auquel celui-ci s’empressa de donner grand écho, et qui, via le Corriere della Sera, le New York Times et Le Figaro eut un retentissement mondial.
Richard Blin
La Beffa di Buccari
Gabriele d’Annunzio
Traduit de l’italien et présenté par Michel Orcel,
La Bibliothèque, 120 pages, 13 €
Histoire littéraire La Beffa di Buccari
mars 2014 | Le Matricule des Anges n°151
| par
Richard Blin
Un livre
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°151
, mars 2014.