Louis Guilloux, la traversée d'un siècle
- Présentation Solitaire et solidaire
- Entretien Le sang des hommes
- Papier critique La dérision humaine
- Autre papier Vivre debout
- Bibliographie Bibliographie sélective
- Autre papier « Sous les pieds du monde », l’expérience de Louis Guilloux
- Autre papier À la lumière des cerisiers
- Autre papier Bouffer de la finitude
Un jour du printemps 1916, Louis Guilloux, alors surveillant au lycée de Saint-Brieuc, lit, dans la cour, le dernier volume de Jean-Christophe de Romain Rolland. Le professeur Georges Palante s’approche : il désirerait lire ce livre qui vient de paraître. Guilloux le lui prête – et ainsi naît leur amitié, « faite de la substance la plus précieuse des âmes qu’elle unit », comme Palante la définit. Palante, ayant déjà publié quelques ouvrages et collaborant au Mercure de France, a acquis à Paris une réputation de philosophe singulier – mais on raconte aussi les chahuts énormes qui perturbent ses cours et on rit de son corps difforme et lourdaud, aux membres démesurés : sa maladie – l’acromégalie – fait de lui une sorte d’orang-outan clownesque. En 1921, Palante s’indigne de retrouver dans une nouvelle que publie Guilloux des confidences dont il s’est indûment servi. La rupture est brutale et définitive, ils ne se reverront pas : Palante se suicide en 1925. Yannick Pelletier, dans sa riche préface, rappelle ces circonstances qui amenèrent Guilloux à écrire, en 1931, ces Souvenirs sur Georges Palante. Il voulait lui rendre justice et ce court texte est donc à la fois le portrait d’un individu (le concept d’individualisme – revendiqué – est au cœur de son œuvre philosophique) et l’histoire d’une amitié, interrompue mais exemplaire. À l’orée de sa vie d’adulte, Guilloux trouve en Palante sinon un modèle, du moins un encouragement à vivre autrement, à vivre debout : « Je l’aimais pour la franchise passionnée de son esprit, pour sa sensibilité douloureuse, pour tout ce que je sentais en lui de frémissant et d’héroïque ». Guilloux admire sa modestie – il ne possède aucun des livres qu’il a écrits – et son « amour de la pauvreté » qui est « une des formes, peut-être obscure à lui-même de son amour de l’indépendance ». Il se remémore leurs promenades dans ce pays que Palante avait adopté : « Nous pensions l’un et l’autre que le soleil ne convient pas à la Bretagne, qu’il lui donne un air endimanché qui est faux, et que son vrai visage n’apparaît qu’à travers les brumes ou sous la pluie ». Il évoque leurs longues conversations, leurs méditations partagées, les leçons de liberté de Palante (Onfray lui a consacré un ouvrage roboratif, voyant en lui un « nietzschéen de gauche »). L’entendant encore dans sa mémoire, Guilloux lui offre ici un hommage ému : « L’homme était infiniment plus complexe, plus nuancé, plus grand que l’œuvre ». Et Palante donnera naissance au Cripure du Sang noir – mais c’est une autre histoire…
T. C.
Souvenirs sur Georges Palante,
de Louis Guilloux
Diabase, 84 pages, 9