La Maison du joueur de flûte : Géographie du Grand Tourment
Publié de manière posthume en 1986 (chez Arléa), écrit au cours de l’hiver 1943-1944, autrement dit entre les deux joyaux que sont Le Fidèle Berger (1942) et Les Fruits du Congo (1949), La Maison du joueur de flûte n’a vraiment rien d’un fond de tiroir. C’est même un livre à prendre très au sérieux dans l’œuvre d’Alexandre Vialatte (1901-1971), puisque ce joueur de flûte l’accompagnera au moins jusqu’en 1951. Ce récit met en scène un photographe, propriétaire d’une vaste demeure qu’il a quittée (peut-être à cause de la guerre, mais nous n’en saurons rien), et qui revient sur les lieux pour y photographier ses locataires. Malheureusement pour lui, son appareil photo refuse de collaborer : les images s’avèrent floues, et les clichés se superposent sur une pellicule qu’il oublie de faire tourner (comme des souvenirs qui s’entasseraient dans une mémoire trop chargée). Pire encore : le plus souvent les personnages sont absents, ou dissimulés, mais pour peu que le narrateur oublie son appareil les voici qui réapparaissent aussitôt.
Placé sous l’autorité de Kafka, dont il fut le premier et fervent traducteur en France, ce récit évoque quelque impossible retour au pays, la maison incarnant pour le protagoniste une sorte de « patrie personnelle ». Malgré tous ses efforts, malgré sa patience et son obstination, pas moyen pour lui de recoller les morceaux : impossible de faire coïncider les images que la réalité lui assène et celles que sa mémoire lui propose de « ce vieux temps plein de fêtes et de surprises ». De sa maison, il ne pourra donc faire guère mieux qu’une visite virtuelle. Peu importe finalement que dans les dernières pages le protagoniste se souvienne (un peu tard) qu’il n’est pas photographe mais joueur de flûte : cela ne fait qu’ajouter un peu de mystère à ce texte énigmatique, qui vaut surtout par sa beauté, dont la pureté a sans doute quelque chose à voir avec la poésie. Didier Garcia
LA MAISON DU JOUEUR DE FLÛTE
D’ALEXANDRE VIALATTE, Le Dilettante, 128 pages, 15 €