Éditée par l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon, la revue Initiales publie deux fois l’an un portrait en creux d’une figure appartenant au champ général de la création. Cet avant-printemps, à l’image d’une rabbia (la rage) de plus en plus déterminée, ne pouvait mieux s’annoncer que par un ensemble consacré à Pier Paolo Pasolini. Trois initiales (PPP) trônent sur la couverture : la tête de Paso troue littéralement un lit de nuages, de gaz, d’informes restes de monde. Voilà le programme : offrir à cette tête, une nuée d’hypothèses de recherches, d’échos, de lignages contradictoires, qu’ils soient critiques, dialogiques ou pensés en images photographiques (de l’érotisme latent au kitch affiché), qu’ils s’avancent selon les résidus vivants d’un héritage supposé ou nous offrent des micro-fictions documentaires.
« Radical et intempestif, conséquent dans son combat contre une modernité dans laquelle il voyait à l’œuvre la destruction de toutes les transcendances (la nature, la religion, les traditions) au profit de la seule rationalité » (E. Tibloux), la figure de Pasolini, dont Thomas Clerc dit qu’« il bande pour le peuple », le voulant incorruptible, pur, digne de sa condition, et laissé à « une essence première et inaliénable » (E. Marty), renvoie sans conteste à un vitalisme inactuel et féroce. Celui-ci redéfinira, entre autres, les inflexions élégiaques de sa poésie, pour les faire résonner dans les Cendres de Gramsci par exemple, et les penser hors de leur héritage traditionnel. C’est ce que « Pasolini avec Bataille » montre aussi par la méthode d’un « faire effraction » que chacun déploie comme méthode de dramatisation et d’intensification de l’expérience intérieure. Jusqu’à toucher sa « substantielle et incroyable innocence ».
Si, néanmoins, il « faut brûler pour arriver / Consumés au dernier feu », selon l’amas de carcasses animales et l’œil d’un mouton calciné que photographie Monique Deregibus, l’expérience donne la mesure que Pétrole, son dernier projet, touchera comme un champ qui « n’instrumente ni ne pétrifie une réserve de formes d’autant plus vaste qu’elle ne sera jamais close » (V. Romagny). Logique lente vers rien de spécial (J.-P. Courtois), donc, qui est la marque endurante que PPP ne cessa de reporter sur chacune de ses explorations. C’est ce que les metteurs en scène Arnaud Menier et Romeo Castellucci éclairent pour « contrer les images qu’on nous donne tous les jours en pâture », comme le groupe Stalker le fit en réalisant le 4 novembre 1995 « une rue / bleue d’asphalte (…) toute plongée / dans une vie oublieuse et aussi intense / qu’ancienne », cernant de la couleur d’un geste l’anneau romain et ses « borgate ». S’y mêlaient ragazzi, prostitués, Roms et tous les déclassés de la terre, ce peuple si cher à PPP qu’il voyait en lui non pas un « État sien, mais (dans) une confuse / halte » le présage d’une réalité encore possible…
E. Laugier
Initiales N°7, 128 pages, 15 € www.revueinitiales.com
Revue Galaxie paso
mai 2016 | Le Matricule des Anges n°173
| par
Emmanuel Laugier
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Le Matricule des Anges n°173
, mai 2016.