Au nord, le plateau de Valensole et ses champs de lavande. À l’est, les gorges du Verdon. Derrière leur maison d’Artignosc, à la frontière du Var et des Alpes-de-Haute-Provence, Jean Darot et Marie Clauwaert élèvent quelques brebis. Souvenirs de leur ancien métier. Ils cultivent leur jardin potager. Sont autonomes. « Ici, on s’est fondus dans le monde paysan. » Fille de libraire, Marie est originaire de Bruxelles, Jean, lui, de « nulle part ». Un père magistrat. Une éducation à la Jeunesse communiste révolutionnaire. Il a beaucoup bourlingué. Sur terre et sur mer. « Après 68, puisqu’on n’arrivait pas à changer le monde, il fallait changer le nôtre. » Il se souvient : « J’ai pris une plume au cul des poules, et j’ai envoyé ça à toutes les boîtes de pub de Marseille. » Il deviendra plus tard une sorte d’écrivain public. « Pendant vingt ans, j’ai fait office de psychologue pour le compte de grandes entreprises. J’écoutais les doléances des salariés. » Sa boîte de conseils s’appelle Parole. Son slogan : « Donner la parole, c’est donner la vie ». En 2004, Jean Darot quitte son activité d’écoutant et devient responsable de la communication du Parc naturel régional du Verdon. En même temps qu’il crée avec sa compagne une maison d’édition, constituée en coopérative. « Éditeurs ruraux », se proclament-ils avec fierté. Très éclectique (roman, récit, essai, jeunesse), le catalogue de Parole privilégie des écrits intimistes, à la beauté souvent sombre, comme ceux d’Édith Reffet, Soumya Ammar Khodja, Maria Borrély (l’amie de Giono). On lui doit aussi l’existence d’un texte aussi court que solaire : L’Homme semence, de Violette Ailhaud. C’est l’histoire, tout près d’ici, d’un village sans hommes, morts pour la République, balayée par le coup d’État de 1851. L’histoire d’un improbable serment, entre femmes : le prochain homme qui viendra sera le mari de toutes. Pour que la vie renaisse, malgré tout. Rencontre avec un couple d’éditeurs, passionnés et joyeux.
Jean Darot et Marie Clauwaert, comment passe-t-on d’un travail de communicant en entreprise à éditeur ?
Par accident et par révolte. Un vieux barde provençal du village, Daniel Daumàs, est venu nous voir parce que les éditeurs refusaient ses textes, écrits en français et en occitan provençal. Pourquoi cet homme-là n’a pas la parole ? Parce qu’il a recours à une langue qui n’est plus utilisée ? Nous nous sommes dit que si nous ne le publiions pas, personne ne le ferait. Ça a commencé comme ça. Nous n’avions aucune expérience de l’édition. Nous ne connaissions pas non plus son vocabulaire. Il nous a fallu du temps pour comprendre la différence entre un distributeur et un diffuseur !
La première année, nous avons dû visiter 150 librairies – seule une quinzaine ne nous a pas gentiment envoyés promener. Sur les 90 structures d’études occitanes contactées, une seule a commandé le livre. Nul n’est prophète en son pays. On préfère haïr son ami plutôt que son ennemi. Toujours le rejet de...
Éditeur Le sens du partage
janvier 2017 | Le Matricule des Anges n°179
| par
Philippe Savary
Au cœur de la campagne provençale, les éditions Parole « produisent » des livres (récits, romans, essais) qu’elles diffusent par des modes alternatifs. Le bouche-à-oreille a ses vertus.
Un éditeur