Il est jeune. Il a 30 ans (la claque !). Il est beau comme un dieu Adam. Son « corps puissant frôle le miracle » et cloue sur place la sexy Soledad, qui, elle, affiche au compteur soixante balais. Malgré (malgré ?) son âge, la narratrice cent mille volts imaginée par Rosa Montero n’a pas dit son dernier mot. Se résigner lui est impossible. Faire le deuil de ses illusions, no, et puis quoi encore ? Soledad est une fana de la vie, une accro au plaisir, une mangeuse d’hommes, réflexion faite, pas que : être hétéro n’est-ce pas se priver de la moitié du ciel ? Oh la la, Soledad s’embrouille, s’entortille dans ses émotions, gère avec fracas ses démons : être ou avoir été. Elle ne sait plus où donner de la tête (ni du corps), finit par se prendre les pieds dans le tapis : la réalité. La voilà qui tombe raide dingue amoureuse du bel Adam, un gigolo embauché sur Internet rien que pour faire bisquer son ex-amant, un quadra celui-là, parti rejoindre son épouse enceinte – forcément.
Soledad (Solitude…) est une risque-tout, une va-t-en-guerre. Du Rosa Montero tout craché, énergique, drôle, et surtout d’une finesse réjouissante, de ce genre d’intelligence qui ne frôle pas « le miracle » mais le percute, façon big bang. Avec une audace sans bornes, l’écrivaine espagnole passe à sa moulinette ravageuse les bons vieux clichés. Tout y passe : les femmes, les hommes, l’amour (ce truc « pitoyable »), le sexe, l’âge, la folie – la vie, quoi. De digressions en (faux) sentimentalisme, elle met sur le gril ses personnages, mixe une histoire d’amour digne de Nous deux, et nous sert un festin.
La Chair ne se contente pas d’épingler ce que produit notre époque si moderne en matière de liaisons dangereuses. On y retrouve les démons de Rosa Montero : lire, écrire, dire ce que la littérature signifie. Sa Soledad (une femme seule, sans enfant, vieillissante = « une maudite parfaite ») prépare une exposition pour la Bibliothèque nationale. Son sujet lui tient aux tripes : les écrivains… maudits, pardi. Soledad s’empare de leurs histoires et les mêle à ses tergiversations sexy langoureuses. William Burroughs, Guy de Maupassant, Philip K. Dick, Françoise Sagan, Marc Twain, tous « avaient quelque chose à voir avec le besoin d’amour, avec l’abîme du désamour, avec la rage et la passion ».
La passion est bien le truc de la facétieuse Rosa Montero. Écrivains, tous dans le même bain. Son essai La Folle du logis, aujourd’hui réédité, fait un va-et-vient vivifiant entre la fiction et la réalité : « L’imagination. Cette folle, à la fois fascinante et furieuse, qui vit dans le grenier. Être romancier, c’est cohabiter harmonieusement avec la cinglée du dernier étage. C’est ne pas craindre de visiter tous les mondes possibles et parfois même impossibles. » Dont acte. Martine Laval
La Chair, de Rosa Montero, traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse, Métailié, 192 pages, 18 €
Zoom Sexy folies
mars 2017 | Le Matricule des Anges n°181
| par
Martine Laval
Femme en pleine crise de nerfs, mais pas que. Avec un humour dévastateur, l’écrivaine espagnole met en scène une amoureuse de la vie.
Un livre
Sexy folies
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°181
, mars 2017.