Dans le métro, au lit, au bistrot, au tableau, au ciné, dans la rue, en 2016, écrire. Pas intransitivement mais dans tous les sens, présent à tout, hypersensible. De circonstance, les dizaines de poèmes qui composent Poeasy le sont d’abord par leurs thèmes. Pas grand-chose n’échappe au radar de Thomas Clerc, ni la marque d’un vêtement, ni le tic d’un langage, ni la silhouette d’un corps, ni les images d’un événement, ni les ricochets d’un souvenir, ni l’obsession des écrans. Il sera question d’un demi-siècle compris entre 1965 et 2016, entre Neuilly et Nanterre, Paris mais Tokyo, d’amour et de guerre, de journalisme et d’enseignement, de Libé et de Catherine Deneuve. Tout ce qui peut composer une identité de nos jours, des opinions jusqu’aux « Personal data » se retrouve disséminé dans le livre. Poeasy est ainsi à mi-chemin entre la chronique buissonnière d’une époque et l’autobiographie primesautière. De circonstances, aussi, les formes, puisqu’on y trouvera des poèmes-ballades, des poèmes-sms, des poèmes-acronymes, des poèmes-blagues, des poèmes-journaux… Il faudrait inventer toute une taxinomie pour les recenser. En l’état, ils sont classés par ordre alphabétique, à manier comme bon vous semble, dans l’ordre si l’on imagine lire les chutes d’un journal tenu du A au Z d’une année, selon l’humeur si l’on se laisse attraper par un titre de la « table des matières » : serez-vous plutôt « Rires enregistrés », « Plante à pronom » « Structuralisme à chat », « Casuel » ou « Disco », « Prosopopée 2016 », « Tocsin » ou « Toast vite » ? Lirez-vous d’une traite ou par à-coups ?
Si Poeasy paraît difficile à identifier, on y retrouve pourtant l’art de la variation et des formes courtes dont témoignaient le récit autour d’une habitation qu’était Intérieur (2013) et le recueil de nouvelles L’Homme qui tua Roland Barthes (2010). On y ressent les influences de Perec et de Barthes, soit une certaine manie des inventaires et la folie des signes. Clerc donne à déchiffrer ce qui nous entoure, tout en rêvant à ce qui pourrait échapper à cette sociologie sur le vif, peut-être, « heureusement le flappement d’ailes / d’un bel oiseau vient se poser près des tables ô l’ignorant / passereau de toutes connotations. » ? Il est attentif aux manières et aux mots, qu’il s’agisse de relever des glissements de terrain (pourquoi dit-on « ressenti » plutôt que « sentiment », et comment y a-t-il déjà du « ressentiment » là-dedans) ou de faire sentir, justement, les figures de style, de l’asyndète à la métaphore, avec la malice parfois potache, aussi, d’un Queneau.
Thomas Clerc en fait parfois trop, voudrait tout être et avoir, étale sa culture et ses petites différences, glisse ses coordonnées au fil des pages. Oui, Poeasy est un geste d’écriture à la fois mégalo et dérisoire, chargé et « light », vorace et gourmet, snob et pop – qui feint parfois d’être plus intelligent qu’il n’est. « Il y a trois hommes en moi / un lyrique / et un conceptuel / qui refusent de dîner / ensemble / à la même table : / pas facile ! » La ligne est quelquefois mince entre le ridicule et l’émouvant et rien n’est moins aisé que de créer l’illusion de la simplicité. Poeasy est un tableau de vanités dans tous les sens du terme. Mais quel livre aujourd’hui, pour marier l’humour à la mélancolie, donner envie de vivre de lire d’écrire et de « Quickie » : « Vite, le plus vite possible / recopie-la, là / la sensation verbale / la chose la phrase quoi / la mouche vécue. » ?
Chloé Brendlé
Poeasy, de Thomas Clerc
L’arbalète, 408 pages, 24 €
Domaine français Cristal Clerc
avril 2017 | Le Matricule des Anges n°182
| par
Chloé Brendlé
Thomas Clerc rassemble des bris de prose, d’actualité, de journal intime dans les vers très libres de Poeasy. Portrait en pieds d’une époque par un hypersensible.
Un livre
Cristal Clerc
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°182
, avril 2017.