Jouir, par quel que moyen que ce soit, est-ce un art ? Michéa Jacobi part du principe que oui et il signe vingt-six portraits, plus ou moins fouillés, d’hommes et
de femmes dont les vies valent leçons. Certaines très éloignées dans le temps (le gargantuesque Denys d’Héraclée au IVe siècle avant JC) et/ou l’espace (en Chine avec le panthéiste Yang Zhu). La galerie se visite sur le mode de l’abécédaire : on y entre avec le poète-courtisan Abû Nuwâs au temps du califat de Bagdad et l’on en sort avec Zaborowski Sigismond, anthropologue français mort dans les années 30, passé maître es-désaltération. Entre-temps passent un goinfre doué d’analgésie congénitale, une danseuse habitée, une chanteuse à la voix tentatrice (Ella Fitzgerald), une mystique flamande, un pornographe tourmenté (Imamura), un opiomane polygraphe (de Quincey), une ardente tête couronnée (la reine Margot), une fille d’empereur romain dévergondée mais aussi un photographe, un dandy, des gens d’église, un lubrique anonyme, un érotomane… Où l’on voit successivement que la jouissance est une expérience polymorphe et polyglotte, « par essence étrangère et qu’en essayant de la dire, nous revenons sans cesse à l’idée que c’est en son incongruité qu’elle nous apporte le plaisir ». Pour faire la part entre légendes et réalités, Jacobi a dû beaucoup lire en amont.
Il a digéré une documentation que l’on suppose colossale, soit le matériel habituel de l’encyclopédiste qui forcément tire jouissance (ah !) de vulgariser sa science infusée.
Le tout est enlevé et, osons le mot, assez jouissif.
Anthony Dufraisse
Jouir : Vingt-six vies consacrées à cet art, de Michéa Jacobi,
La Bibliothèque, 130 pages, 14 €
Essais Jouir : Vingt-six vies consacrées à cet art
novembre 2018 | Le Matricule des Anges n°198
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Le Matricule des Anges n°198
, novembre 2018.