L’épigraphe, tirée du biblique livre des Proverbes, lance un mystérieux avertissement : « Ne réponds pas à l’insensé selon sa folie,/ de peur que tu ne lui ressembles toi-même ». Sans doute le lieutenant Dapper, enquêteur bouleversé, père tourmenté, fils abandonné, aurait-il dû davantage se prémunir, s’accorder un temps de répit, mieux estimer ses forces… Aux dernières pages du précédent roman de Gilles Sebhan, Cirque mort, le policier avait en effet réussi à libérer son fils, Théo, des griffes de l’ensorceleuse qui l’avait kidnappé. Il avait pour cela fait la connaissance de l’inquiétant docteur Tristan, psychiatre hétérodoxe, et avait recouru au don visionnaire d’un adolescent mi-ange mi-démon, Ilyas. Mais Théo est-il véritablement revenu, son esprit n’est-il pas demeuré prisonnier, enchanté ? Ilyas consentira-t-il à retourner à la solitude qui est son royaume hanté ? Le lieutenant Dapper parviendra-t-il à résoudre cette nouvelle affaire d’enlèvement, alors qu’il n’a pas su écouter la victime qui venait lui demander secours ?
Dans la même atmosphère comme étouffée de cette banale ville de province, nous retrouvons donc les mêmes personnages (auxquels viennent s’ajouter un journaliste hypocondriaque et fouineur et un père assassin qui protège son fils « demeuré ») et les mêmes préoccupations, les mêmes leitmotivs : l’interrogation sur la transmission, la préoccupation de la filiation, les énigmes familiales, les tourments de la solitude. Peut-être pourrait-on regretter que l’intrigue policière l’emporte parfois sur ces questionnements et que le trouble ressenti à la lecture de Cirque mort soit ici plus diffus, moins poignant. Cependant l’enfance, qui « aime le secret », est cette fois encore au centre d’une toile tissée avec délicatesse, l’enfance cruelle que les adultes ne savent percer à jour, qu’il s’agisse de celle des êtres à qui ils ont donné la vie, ou de la leur propre, qu’ils croient lointaine mais qui finit toujours par ressurgir – et blesser. Comme Œdipe, Dapper, sans le savoir, enquête sur lui-même, et, comme Œdipe, chemine d’un aveuglement obscur à une aveuglante clarté.
Thierry Cecille
La Folie Tristan, de Gilles Sebhan
Éditions du Rouergue, 176 pages, 17,80 €
Domaine français La Folie Tristan
mars 2019 | Le Matricule des Anges n°201
| par
Thierry Cecille
Un livre
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°201
, mars 2019.