On est loin du village de Montblanc (Hérault) où se déroulait La Mer c’est pas grand-chose (P.O.L, 2016), loin aussi des manchots empereurs de La Fonte des glaces (P.O.L, 2017). L’Arbre d’obéissance qui paraît cette année, se situe pour l’essentiel dans un désert écrasé de chaleur, abandonné de Dieu si Dieu a jamais existé. Quelques villages de misérables éleveurs sont disséminés à ses abords, quelques ruines témoignent de l’aridité des lieux que ponctue un monastère où « accueillir » ne se décline à aucun temps. C’est là que veut se rendre l’adolescent Théodoret, au grand dam de son père qui le bat pour lui faire abandonner son projet. Mais le jeune garçon a reçu l’Appel à quoi il serait vain de résister. Moine il sera donc, parmi les plus pauvres, se couchant face au sol, nez dans la poussière, avec une humilité qui frise la prétention. Théodoret traverse le désert, manque y mourir dix fois, parvient asséché et loqueteux devant le monastère de Téléda dont les portes ne s’ouvriront pas pour lui pendant plusieurs jours afin que les moines puissent mesurer la force de sa foi. Il y entrera finalement, tenu de rester silencieux et d’y remplir les tâches les plus basses. C’est là qu’il croisera (dans ce monastère, on ne rencontre pas) Syméon plus jeune que lui et plus radicalement engagé dans la négation de soi. Il n’est pas encore le stylite que la foule des croyants viendra idolâtrer, seul sur sa colonne des années durant. Il est un gamin habité par la foi (dira l’Église), la peur de l’enfer (sous-entend Joël Baqué). Syméon quittera plus tard le monastère, ira se perdre au fond d’un puits, mettant sa survie dans les mains de la Destinée qui lui enverra des moines, dont Théodoret, pour le sauver d’une mort imminente à laquelle il semblait s’accorder. Syméon reprendra la route du désert, inventera de monter sur une colonne de pierre pour se tenir loin des hommes sans guère manger ni boire, priant le Très-Haut et devenant pour l’Église un athlète de la foi propre à convertir les incrédules et à faire venir à elle les âmes impressionnables.
Joël Baqué tisse le récit de la vie de Syméon à celle de son biographe, Théodoret qui se raconte plus qu’il ne raconte la vie du futur saint. Théodoret n’a pas les renoncements de son modèle, il aura donc un avenir dans la hiérarchie épiscopale. Loin de nous guider vers une forme de mysticisme, Joël Baqué restitue au saint son humanité niée : l’odeur de charogne qui l’habite, les vers qui le rongent et la torture qu’il s’inflige devraient ainsi nous rendre à la raison et nous détourner d’une foi qui s’apparente à un sport de dupes.
Joël Baqué, vos lecteurs de La Mer c’est rien du tout et de La Fonte des glaces risquent d’être surpris par votre nouveau roman. Non seulement son sujet est inattendu, mais le ton même du livre peut surprendre. Comment vous est venu le projet d’écrire autour de Syméon le stylite et son biographe Théodoret ?
Comme pour tous mes livres, une phrase s’impose à...
Entretiens Les athlètes de la foi
Le nouveau et étrange roman de Joël Baqué nous convie à vivre démunis dans le désert Syrien au Ve siècle, à l’ombre de Syméon le stylite et de son biographe Théodoret de Cyr. Deux adeptes de l’austérité si radicale qu’elle nie l’humanité.