Esprit particulièrement libre, grande voyageuse, Nadine Ribault, dont on connaît l’ardeur passionnée avec laquelle elle défend, dans ses Carnets – de Kyôto, des Cornouailles, des Cévennes, de la côte d’Opale – le nomadisme, l’ardeur et la ferveur, nous donne aujourd’hui un roman aussi brûlant qu’envoûtant.
Il nous transporte au XIe siècle, au cœur d’une châtellenie inhospitalière coincée entre la mer et la forêt. Elle est dirigée, depuis son château de Gisphild, par Isentraud, une femme qui exerce le pouvoir par la terreur. « Au squelette d’autrui, Isentraud, dame de Gisphild, être sans pitié, aiguisait ses canines. » Cette « chienne » a un fils, Arbogast, un « Viking dégénéré » que tous redoutent pour ses colères soudaines. Un imprévisible donc qui, un beau matin, retour d’un voyage dans les collines du Boulonnais, surgit au château avec une jeune épouse aux allures romaines, Goda, toute rayonnante de « ce qu’elle lovait en son sein de beauté, d’intelligence, d’éclat, de patience, d’affabilité, de rareté ». Une épouse qui déclenche immédiatement l’ire et la haine d’Isentraud. Usant de l’ascendant qu’elle a sur un fils pusillanime, elle ordonne aussitôt qu’on la loge hors du château, qu’on la tienne recluse dans une ferme isolée. « Mets-la au jeûne et conduis vite au dénouement la vie de cette catholique. »
Enfermée, affamée, Goda va résister à sa façon en se comportant comme une sainte et en gagnant le cœur d’une population qui ne connaît que la famine et les tortures. Goda est soutenue dans son calvaire par Abrielle, une sauvageonne ignorant le danger et connaissant l’usage des herbes. Mi-magicienne, mi-sorcière, elle disparaît, resurgit, rôde à plaisir dans la forêt et le marais proche, libre et foncièrement rétive à la rigidité féodale comme aux fureurs homicides d’Isentraud. « Qui l’approchait, assurément et pour longtemps, était hanté par elle qui toujours répétait : “Je veux contempler l’amour comme on contemple un feu.” » Et elle qui aimait s’enfoncer dans la forêt à la recherche de « l’Attendu », va croire le trouver en la personne de sire Bruny, l’ami d’enfance d’Arbogast, son frère d’armes. Oscillant sans cesse entre la méfiance et l’abandon le plus total, elle va tenter d’en faire un allié dans sa lutte contre le « château des malheurs » et les « démons » qui l’habitent, assujettissent, musellent ou tuent ceux qui n’ont déjà rien et doivent de plus lutter contre le Mal des ardents, une maladie terrifiante, une sorte de peste due à une alimentation misérable, à des farines contenant de l’ergot de seigle, et se caractérisant par la gangrène des extrémités, la perte des doigts puis des membres, qui noircissent avant de se détacher du corps.
Abrielle soigne, soulage autant qu’elle peut, à commencer par celui qui fut un peu son mentor, Baudime, un sage, un ermite qui a contracté le mal. Il l’exhorte à modérer ses élans envers sire Bruny, et à ne pas oublier l’essentiel : œuvrer pour libérer Gisphild et sauver Goda. « Ce ne sont pas nos idéaux qui doivent voler en éclats, ce sont les têtes des bourreaux. » Un combat contre la dévastation des corps et des esprits qu’Abrielle sera bientôt seule à mener.
Roman tissé d’enfer et de lumière, Les Ardents conjugue le monstrueux et le féerique, brasse les gerbes d’émotions sensuelles comme les bourrasques d’épouvante. Fuyant les fausses pudeurs, et usant du passé comme d’un prisme pour interroger notre époque, il cherche à réveiller la part indomptable de la pensée, celle qui rêve de faire claquer le fouet de l’impossible. Qui refuse de se soumettre et espère que l’éclat de sa vérité finira par pénétrer le monde.
Richard Blin
Les Ardents, de Nadine Ribault
Le mot et le reste, 210 pages, 19 €
Domaine français De givre et de feu
novembre 2019 | Le Matricule des Anges n°208
| par
Richard Blin
Dans la Flandre du Xie siècle, et dans un royaume dominé par la peur et la nuit, tout va à perdition. Mais une femme ne se résigne pas à l’insupportable.
Un livre
De givre et de feu
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Richard Blin
Le Matricule des Anges n°208
, novembre 2019.