De prime abord, À la piscine avec Norbert, première incursion dans le roman de la poétesse et performeuse Véronique Pittolo, pourra paraître d’une pauvreté déconcertante. Voire d’une insignifiance crasse. Le jour, refusant sa péremption prochaine sur le grand marché de la baise en ligne, une cinquantenaire aux « appâts (…) médiocres » muscle ses fesses dans le couloir des nageurs moyens à la piscine des Amiraux (Paris, 18e). Elle peut ainsi, la nuit, voguer de clics en clics « compulsifs » sur Meetic et, des Axel, Eddie, Giorgi ou JeanGé, établir une évaluation comparée de l’anatomie, pilosité et performances – sa façon à elle d’être « libre, épanouie ». Ou, avec Norbert, enfiler des perles sur « la faillite de la social-démocratie » (en sortant du Franprix), « l’affaire Venstinne » et « Mitou » (« Aimer être violée n’est pas entré dans les mœurs »), les salaires mirobolants des patrons du CAC 40 (« Je pense à ma retraite future de mémé à chat ») – mention spéciale pour « La mort des migrants passe inaperçue (contrairement à celle de Johnny). » Bienvenue en médiocratie ? La narratrice s’interroge, babille, et l’on tourne en rond avec elle, comme elle nage en rond dans le grand bassin. Le récit renvoie donc en miroir une image bien peu glorieuse du monde dans lequel nous vivons : conversations de comptoir, « bon sens » déconcertant, conscience politique proche de la ligne de flottaison… Dans le système néolibéral, tout équivaut à tout, et tout est interchangeable, les corps comme les idées.
Faussement naïve, furieusement ironique, l’écriture de basse intensité de Pittolo interloque, amuse, agace… et, comme « Houelle(becq) » avant elle, questionne ce bric-à-brac d’opinions toutes faites et de valeurs consensuelles, digérées dans le seul totem encore debout dans cette grande nuit de la pensée : l’individualisme.
Valérie Nigdélian
À la piscine avec Norbert
Véronique Pittolo
Seuil, 176 pages, 17 €
Domaine français Toucher le fond
janvier 2021 | Le Matricule des Anges n°219
| par
Valérie Nigdélian
Un livre
Toucher le fond
Par
Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°219
, janvier 2021.