Résumé des épisodes précédents : c’est après avoir notamment œuvré dans la bande dessinée et le dessin de presse que Vincent Sardon, à l’orée des années 90, eut l’idée de confectionner des tampons. Lesquels envahirent peu à peu son existence, de sorte que Sardon se rebaptisa Le Tampographe, démiurge d’un atelier/boutique en contrebas du Père-Lachaise, entre presses, bidons de produits chimiques et caoutchouc brut. Puis il rassembla ses créations et réflexions dans un journal de bord (Le Tampographe sardon, L’association, 2012), dont cet épais volume semble maintenant le prolongement – « bordélique comme mon atelier et comme le coin de ville dont il parle ».
Ici défilent, bien sûr, des tampons. Gueules cassées et flippantes, danses macabres, gays garçons fermiers, Maître Capello ; des injures, malédictions et injonctions en tout genre, Va Mourir à la Villa Medicis ou Mangez sain mangez des végétariens ; et, puisque l’encre des tampons peut boire toute l’histoire de l’Art, des géométries savantes, frises polychromes inspirées des hiéroglyphes ou des arts décoratifs, du néoréalisme ou de Warhol. Sans oublier des branches de cerisiers en fleurs et de jolies bestioles, le Tampographe ayant découvert, « à 49 ans, dans les plis les plus reculés de son âme rongée par le vice, qu’il a une sorte de fibre totalement kawaii ».
Ajoutez à cela des bricolages numériques, ici François Hollande arborant une coupe mulet, là un chaton défiguré par le nez de Jean Lassalle. On se dit quand même quelle chance de passer ainsi les journées : « Pour m’occuper je tape “Raphaël Enthoven” sur le moteur de recherche de Youporn. Rien. “Jean-Paul Sartre + Simone de Beauvoir”. Rien. “Martin Heidegger + Hannah Arendt”. Toujours rien. » Mais on aurait tort de simplement jalouser Sardon, lui qui subit l’écosystème des artistes et les regards de vernissage « par-dessus votre épaule », lui que contaminent les disparus du cimetière voisin et sa rue du Repos « grise, froide, emmerdante ». Ainsi, dans ces chroniques entre rêve et réalité, petits textes qui prennent de plus en plus d’importance, s’insinue progressivement une couleur fantastique et dépressive, mêlée de paysages d’apocalypse et de cour des miracles, de caveaux et de rats au « gros cul rebondi ». Depuis l’atelier, Sardon écoute les bruits du dehors : c’est souvent le bruit des quinquagénaires, des déchéances, des morts et des exils, depuis les amis qui rejoignent Bordeaux – « C’est en soi une autre forme de départ pour l’au-delà, un purgatoire en pantacourt » – jusqu’à la campagne où le Tampographe vient lui-même de se retrancher, pour ne plus regarder Paris que « derrière une vitre ».
À ceux qui finiraient par s’inquiéter, il faut quand même préciser que sa vigueur mutine demeure, comme en témoigne ce récit posté en mars dernier sur Facebook (et qu’on espère voir figurer dans un prochain tome). Acharné à dégotter du gel hydro-alcoolique pour le mettre à disposition dans son atelier, Sardon hante en vain les pharmacies. Avant, dernier recours, d’essayer Amazon. « Là, surprise, une bouteille de gel étincelante s’affiche sur mon écran. C’est peut-être la dernière bouteille de gel sur Terre, je la commande. Quelques jours plus tard le colis arrive, et je sors la bouteille. C’est bien du gel, mais c’est en fait une bouteille de gel à cul (…). Du lubrifiant pour fister les gens, en conditionnement pour collectivités. Comme le design est sobre et fonctionnel – c’est du matériel allemand, ils s’y connaissent en design – ça ressemble à s’y méprendre à un truc antiseptique. Après la déception passagère, je pose la bouteille sur mon étagère, pour ses qualités résolument Déco. »
Gilles Magniont
Chroniques de la rue du Repos
Vincent Sardon
Flammarion, 256 pages, 35 €
Textes & images Créateur d’ambiance
janvier 2021 | Le Matricule des Anges n°219
| par
Gilles Magniont
Avec ses Chroniques de la rue du Repos, le Tampographe Sardon mixe cabinet de curiosités et contes cruels.
Un livre
Créateur d’ambiance
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°219
, janvier 2021.