En 1922, un homme nommé Eric Blair, âgé de 18 ans à peine, débarque à Mandalay, en Birmanie. Issu de la « classe moyenne naufragée », comme il l’écrira plus tard, il est passé par Eton, public school pour l’élite, mais vient de s’engager dans la Police indienne impériale. Il demeure pendant cinq ans assistant superintendant of police dans divers postes reculés. Fin 1936, le même homme, devenu romancier sous le pseudonyme de George Orwell, gagne l’Espagne pour, pense-t-il, écrire quelques articles sur la guerre qui a éclaté quelques mois auparavant. À peine arrivé à Barcelone, il s’engage dans la milice du P.O.U.M (Parti ouvrier d’unification marxiste). Caporal, il se retrouve sur le front d’Aragon. En 1949, George Orwell, luttant depuis quelques années contre la tuberculose, travaille, dans un sanatorium, sur les épreuves de son dernier roman, Mil neuf cent quatre-vingt-quatre. Le succès est là mais Orwell a juste le temps de s’en réjouir : il meurt d’une hémorragie pulmonaire le 21 janvier 1950.
Alors que son œuvre tombe dans le domaine public, Gallimard lui consacre une Pléiade qui effectue un choix judicieux et, comme il est d’usage dans cette collection, des commentaires et notes qui enrichissent notre lecture. Les éditions Agone font paraître une nouvelle traduction de sa célèbre dystopie. Les éditions Lux, quant à elles, nous offrent cet Orwell, à sa guise, sous-titré La Vie et l’œuvre d’un esprit libre. George Woodcock, en effet, fut un ami de George Orwell et il tente ici, avec justesse et justice, de mêler le portrait à l’analyse, de mettre au jour les motivations d’Orwell, ses principes littéraires et éthiques, son ambition, ses réussites éclatantes et ses quelques échecs. Sans doute est-il nécessaire de prendre Woodcock pour guide, afin d’échapper aux simplifications, voire aux falsifications, en particulier idéologiques, dont Orwell put, peut et pourra encore être victime.
C’est sur la figure de Don Quichotte que s’ouvre l’essai. Le physique d’Orwell peut rappeler l’hidalgo : « grand, mince, anguleux, dont l’air sombre était accentué par de profonds sillons verticaux qui creusaient ses joues ». Comme pour l’homme de la Mancha, « son apparence décharnée était renforcée par des orbites d’où ses yeux regardaient le monde plutôt tristement ». C’est qu’il « déplorait l’évanouissement d’un monde révolu qui, malgré tous ses défauts, lui semblait plus généreux et plus coloré que le présent ». Enfin, « il défendait des causes impopulaires avec passion et par principe ». Peut-être pouvons-nous attribuer à ce don quichottisme sa préférence pour les êtres faibles, amoindris et solitaires – mais qui parviennent cependant à se tenir debout et, parfois, à combattre. De John Flory, personnage principal de son premier roman, En Birmanie, à Winston Smith, tenant tête modestement mais irrévocablement au Parti dans Mil neuf cent quatre-vingt-quatre, en passant par les mineurs à la fois exploités et héroïques de Wigan Pier au bout du...
Événement & Grand Fonds Le sens du combat
Un fort volume de la Pléiade et un essai biographique redonnent à George Orwell la place qu’il mérite, celle d’un écrivain qui toujours mit son art au service de sa conscience politique, alerte et alertée.