Les quatrièmes de couverture sont trop souvent dithyrambiques. Mais dans le cas d’Amjad Nasser (1955-2019), passant pour « l’une des voix les plus originales de la poésie arabe contemporaine », il faut consentir à s’incliner. En une anthologie intelligemment mise au point et traduite avec souffle par Antoine Jockey, ce ne sont pas seulement des thématiques arabes traditionnelles qui affleurent, mais plus largement universelles. De la création d’Adam à la ville de New York, mythe et Histoire se télescopent, en passant par la prise de Grenade et le mythe de Faust. Car il s’agit d’« Ôter le monstre qui gît dans la cage thoracique des fils d’Adam », de dénoncer « Après le 11 septembre (…) l’année des faux prophètes et de leurs versets sataniques ».
Parfois l’art de la profuse énumération a quelque chose de borgésien : « Un jour je fus cette feuille qui tombe lentement, (…) La rose qui s’est dénigrée lorsque l’automne l’a offerte/ À son inspiratrice rousse,/ Le tigre qui se croit libre alors qu’il est dans un enclos ». C’est là le premier poème du volume qui musarde parmi neuf recueils, et qui est l’un des derniers écrits, car cette anthologie inverse l’ordre chronologique, pour retrouver les « Louanges pour un autre café », de 1979. Le plus souvent en vers libres, parfois en prose, cette poésie fait feu de tout genre : dialogue philosophique, récit, élégie, « éloge du nombril », engagement politique humaniste, et « Conversation ordinaire sur le cancer », car le poète est hélas mort d’un cancer au cerveau…
En « langue méditerranéenne » ce recueil d’un « prophète sans religion ni adeptes » prend l’espace et la condition humaine à bras-le-corps. Comme « la nuit des voyageurs », il est « un manteau de regrets argentés ».
Thierry Guinhut
Le Royaume d’Adam et autres poèmes
Amjad Nasser
Traduit de l’arabe (Jordanie) par Antoine Jockey
Sindbad/Actes Sud, 176 pages, 17,50 €
Poésie Le Royaume d’Adam et autres poèmes
février 2021 | Le Matricule des Anges n°220
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Le Royaume d’Adam et autres poèmes
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°220
, février 2021.