La lecture de Papillon de verre, signé Raphaëlle Milone, nous a plongés dans des sentiments mêlés. Éditeur pointu, Diaphanes présente l’auteure comme « la fille littéraire d’Antonin Artaud et de Colette Thomas » – un héritage lourd à porter… Encensée par le regretté Jean-Luc Nancy (disparu cet été) et des écrivains aussi différents que Simon Liberati ou Yannick Haenel, Raphaëlle Milone serait, à 30 ans, une heureuse – et furieuse ! – révélation. Par certains côtés elle l’est assurément, son autofiction oscillant comme une boussole folle entre tentative d’émancipation et tentation de l’autodestruction. Pour Raphaëlle, qui se campe ici sous les traits de Vivianne, 25 ans, tout commence par ce qu’elle croit être le suicide d’Isaac, l’amant souverain. La crainte que l’aimé, son mentor de vingt ans son aîné, se soit donné la mort lui fait l’effet d’un vortex intérieur qui l’oblige à tout remettre en cause et en question. S’amorce alors un très mouvementé processus d’écriture qui sera, de bout en bout, une grande procession agitée où défilent violence, désir, dépression. Le double de l’auteure parle compulsivement, écume, ventriloquée par l’angoisse d’un arrachement à soi, n’omettant rien de sa déchéance. Dans un monologue électrique et jazzy, Milone-Vivianne, « seule dans (s)a tragédie », se décrit successivement en « chimère terrorisée », en « loque en furie », en « une espèce de Janus amazone-walkyrie » ; « torturée viscérale », dit-elle aussi, « cinglée diaprée »… C’est une zombie kamikaze portant camisole. Passive-agressive, vrillée par l’encre et par l’alcool, elle cherche, en écrivant et en dérivant lors d’un été caniculaire, à régler ses comptes avec elle-même et avec les autres.
Si la « petite excursion cathartico-scriptuaire » à laquelle se livre Milone présente souvent des accents de forte vérité, l’expérience suscite non moins souvent perplexité. Peut-être parce qu’à force de trop d’introspection toxique, la purge de ce mal-être existentiel donne l’impression de tourner en rond. Ce chaos intérieur ressassé nous met KO. D’ailleurs la narratrice n’ignore pas cette situation « : Tu ne sais plus si, dingue, tu l’es vraiment, ou si tu fais semblant de l’être. » Ce qu’elle accouche péniblement sur le papier lui fait même l’effet d’être des « acrobaties dialectiques », une « lamentable diégèse ». Voir surgir le désespoir dans une vie est toujours déchirant ; mais qu’il soit un peu surjoué et alors cela vire vite au méli-mélo dramatique. Le récit sonne assurément mieux quand il radiographie « les agrégats du corps intello-mondain parisien ». L’analyse lucide par Vivianne de la comédie sociale – artificialité des gens de culture, facticité des relations humaines, confort d’un milieu social faussement anticonformiste – est mordante. Désorientée, mal dans sa peau, proie d’une prose au vitriol, la jeune femme vulnérable qui s’expose dans ces pages à la vue de tous, se livre tous azimuts à une quête d’une certaine vérité de l’être qui, si intense soit-elle, nous perd parfois en chemin.
Anthony Dufraisse
Papillon de verre
Raphaëlle Milone
Diaphanes, 162 pages, 15 €
Domaine français Chaos… tic
octobre 2021 | Le Matricule des Anges n°227
| par
Anthony Dufraisse
Entre tentative d’émancipation et tentation de l’autodestruction, l’intense Papillon de verre nous perd parfois en chemin.
Un livre
Chaos… tic
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°227
, octobre 2021.