On retrouve dans cette brève fantaisie le mélange de légèreté et de mélancolie, d’humour et d’une certaine douleur pudique qui fait le sel de l’écriture de Didier da Silva, où la phrase sait être élastique sans jamais former des nœuds. Home cinéma, comme son titre l’indique, c’est l’exploration des possibilités du cinéma domestique, du paysage mental, que tout un chacun est libre de s’inventer, sans contraintes de budget, dans un demi-sommeil ou dans une rêverie éveillée. L’auteur choisit d’explorer deux figures pour lui favorites, qui se sont déployées au long et au large de mille et une productions filmiques ambitieuses ou fauchées : le voyage dans le temps et la descente aux enfers. « Un simple saut dans le passé » procure au narrateur « des joies puissantes » : « l’éclat des étoiles, leur inédite présence massive, comme dans un désert mais en mieux ». La catabase, quant à elle, produit une « excitation singulière », celle de découvrir, au bout d’un sinueux trajet à travers gouffres, tunnels, escaliers suintants, que « c’était donc ça le royaume des morts ».
L’art de ce livre ne réside pas tant dans un jeu de références cinéphiliques que dans sa manière particulière de revendiquer nos capacités d’évasion par l’imagination, et qu’importe si celles-ci sont colonisées par un imaginaire extérieur, celui de l’usine à rêve du cinéma, laquelle est bien souvent aussi – parfois pour la plus grande réjouissance du cinéphile un peu pervers – une fabrique à clichés. Voyager dans le temps, c’est l’opportunité d’aller jeter un œil à quelques artistes admirés (et en profiter, au passage, pour apporter des médicaments modernes à Stevenson), c’est observer de loin les moments de bonheur ineffables du jeune homme que nous ne sommes plus, sans oser toutefois approcher notre propre tombe pour y lire la date fatidique.
Mais ce livre est aussi, comme La Mort de Masao, le précédent opus de l’auteur, un texte de deuil, une tentative de retrouver un être cher qui, c’est inévitable, ne fera que se dérober, car l’imagination, si puissante soit-elle, ne saurait combler la perte autrement que par la consolation fluctuante qu’elle procure.
Guillaume Contré
Home cinéma
Didier Da Silva
Vanloo, 84 pages, 16 €
Domaine français Home cinéma, de Didier Da Silva
avril 2022 | Le Matricule des Anges n°232
| par
Guillaume Contré
Un livre
Home cinéma, de Didier Da Silva
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°232
, avril 2022.