La Côte sauvage - Journal - feu à sa vie
Sans doute d’autres mena-ces et périls sont-ils venus prendre la première place, mais, dans les années 50 à 70 du siècle dernier, les accidents de la route semaient l’effroi. Pensons aux tragiques tonneaux au ralenti des Choses de la vie de Sautet ou aux carambolages sanglants du Week-end de Godard… La littérature eut ses victimes : Camus en janvier 1960, dans sa Facel Vega conduite par Michel Gallimard, ou Roger Nimier en octobre 1962. Une semaine avant, un jeune homme de 26 ans, profitant d’une permission lors de son service militaire, trouvait la mort dans sa Mercedes blanche, sur la route de Blois : Jean-René Huguenin. Deux ans auparavant, la publication de son roman La Côte sauvage avait été saluée, beaucoup, découvrant en ces pages un souffle nouveau, croyaient en lui. L’émotion de Mauriac se devine en ces lignes d’éloge malheureusement funèbre : « La mort de Jean-René Huguenin me touche doublement : d’abord parce que j’éprouvais la plus grande admiration pour son talent et que j’attendais énormément de lui ; ensuite parce qu’il était un des très rares parmi les nouveaux venus à ne pas renier ses aînés. Ce que le vieil homme que je suis perd avec lui, c’est une part de la jeunesse qui lui était restée fidèle. » Peut-être est-ce cette jeunesse, cette précocité rimbaldienne, l’aura quelque peu météorique de cette existence qui l’auront préservé de l’oubli : à plusieurs reprises Huguenin sera comme ressuscité. En 1964 paraît son Journal, un an après un recueil d’articles intitulé Une autre jeunesse, Michka Assayas rassemble, en 1987, des textes et correspondances inédits dans un volume fort poétiquement intitulé Le Feu à sa vie. Aujourd’hui s’ajoutent à cet ensemble des pages de romans (dont un intégralement restitué) et près de soixante-dix articles recueillis par Étienne de Gail.
Quel itinéraire conseiller, privilégier à travers cette vie-œuvre, vaste forêt parfois obscure, parfois lumineuse ? Le Journal peut peut-être servir de guide pour le lecteur, comme il le fut pour Huguenin lui-même durant toutes ces années, de la sortie de l’adolescence à la maturité non pas conquise mais construite, échafaudée jour après jour. Ces pages sont en effet, avant tout, une sorte de constante mise en garde ou même une espèce de garde-à-vous répété : il ne cesse ici de se fixer des impératifs, de s’intimer (osons le néologisme) une conduite à suivre. Il se veut stoïque, résistant, volontaire, voire ascétique : la création et la virilité sont pour lui deux mots d’ordre indissociables. Il ne cesse de poursuivre et combattre en lui la moindre lâcheté, le laisser-aller le plus passager, il hait toute complaisance. Ainsi se termine la première entrée (11 décembre 1955 – rappelons qu’il est né en 1936) : « Le principal, c’est que je veux devenir solitaire, inflexible et tendre ». Et en voici les dernières lignes (20 septembre 1962, deux jours avant sa mort) : « Avant toute chose, retrouver ma puissance et mon cœur. L’enfer, c’est d’agir malgré soi. Je...