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Domaine étranger Les mains et les choses

octobre 2023 | Le Matricule des Anges n°247 | par Flora Moricet

Un monde de sensations et d’objets légèrement étranges à travers les yeux d’un enfant dont on ne sait pas s’il pense ou s’il rêve.

Nourrir la pierre

La vue m’utilise pendant des heures pour regarder », peut-on lire et relire pour être bien sûr de comprendre dans un prologue très intrigant. Les 43 courts textes qui suivent (« La petite cuillère », « La fourchette », « L’appui de fenêtre », « La table »…) forment des petites vignettes écrites à la hauteur d’un enfant qui entretient une drôle de relation aux êtres et aux choses. Les destinations ne sont pas toujours là où on les attend, « l’enfant veut habiter dans le ventre de la chienne », et surtout l’enfant trouve une pierre en chemin qu’il lui faut nourrir, sinon « il a peur que la pierre meure parce qu’elle ne mange rien ». Utilisant des mots très simples dans un décor réaliste, l’écrivaine et artiste polonaise plus que prometteuse aborde la tristesse, la violence, la famille et la mort avec une pudeur et un décalage déconcertants. Premier livre traduit en français, Nourrir la pierre est un recueil à la fois sensuel, dans son rapport à la terre et à la peau et profond comme le sont les questions d’un enfant. Un itinéraire savoureux.
Il y a des poèmes dans lesquels on meurt un peu, beaucoup ou pas du tout, ou qui communiquent avec les morts. Chez Bronka Nowicka, ce n’est pas de la magie, c’est simplement de la pensée. Il suffit de penser très fort à une chose pour qu’elle se réalise, qu’elle prenne forme : l’arrière-grand-mère se retrouve ainsi sous la forme d’un pain dans une poche. L’enfant a une pensée pour toutes celles et ceux qui une fois morts ne peuvent plus accomplir certains gestes : par exemple les morts « ne s’habillent pas seuls ». À la manière d’un rituel, « l’enfant laisse son grand-père au-dessus de la tasse de thé. Demain, elle reviendra la sucrer. Et reviendra encore, jusqu’à ce que s’épuise tout le sucre du monde  ». Pour que les défunts puissent continuer de penser « à nous avec nos pensées ». Un autre questionnement irrésistible est celui de l’enfant qui se demande où sont les oiseaux morts incapables eux aussi de « s’enterrer tout seuls ».
D’autres poèmes, plus énigmatiques, demandent d’être relus plusieurs fois pour poursuivre les liens entre toutes ces choses que Nowicka s’emploie à séparer : le sac (le père) et la pâte (la mère), la nuit, la pierre. Jusqu’à cette dernière phrase surprenante : « on n’a pas le droit de réveiller sa mère sur laquelle la nuit pose ses poids »
Dans l’univers de l’enfant, on change souvent d’échelle. Le père qui est « très court » se retrouve « dans les jambes de la mère ». Il faut saluer la traduction si fluide de Cécile Bocianowski qui ne semble avoir perdu aucune miette de ces images denses et fragmentaires. Ces parties du corps isolées, comme les mains détachées du corps du père, « Un jour, mon père trouva des mains. Ses propres mains » font penser aux répétitions d’Hélène Bessette à propos des pieds dans Ida ou le délire  : « Regardez pas vos pieds comme ça. Levez un peu la tête. Pourquoi baissez-vous toujours la tête comme ça ? Vos pieds… vous les connaissez ? Ils ont grandi avec vous. Vous les avez toujours vus vos pieds. » Mais ici, les mains seules disent une autre violence : « au bout de quelques jours passés à leur place, les mains mangeaient, buvaient et claquaient des doigts. Plus tard, elles eurent envie de frapper. C’est alors que mon père me les montra ».
Formée à la prestigieuse école de cinéma de Lodz, Nowicka offre une réjouissante prose dans la lignée d’une Adelheid Duvanel (chez le même éditeur, La Maison disparue), où le sentiment d’un quotidien précaire et fragile se réalise dans de fantastiques étonnements : «  Il y a des jours où mon père cesse d’avoir lieu et où toute sa narration passe sur les choses ».

Flora Moricet

Nourrir la pierre
Bronka Nowicka 
Traduit du polonais par Cécile
Bocianowski, Corti, 80 pages, 16

Les mains et les choses Par Flora Moricet
Le Matricule des Anges n°247 , octobre 2023.
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