Se faire livrer gratuitement le dernier Modiano lorsqu’on habite un village du sud de la Corse ou du centre du Massif Central, par exemple, c’est possible. Espérer recevoir chez soi un vieux livre épuisé depuis longtemps sans passer pour un doux rêveur, également possible.
Obtenir un catalogue d’éditeur de l’année dernière ? Sans problème. Faire la liste des services rendus par la télématique ressemblerait à une énumération à la Prévert.
De ce formidable outil de communication qu’est le minitel, Alain Schmidt, gérant de la Librairie Lettres Ouvertes, a fait un vecteur de vente du livre.
A priori, lorsqu’on entre dans cette librairie du sud parisien, rien ne la distingue d’une autre. Seul indice d’une activité souterraine, un escalier métallique en colimaçon s’enfonce dans le sous-sol. Le descendre, c’est aller à la rencontre d’une sorte de fourmilière où la reine est le Livre, et les ouvrières, d’érudits amoureux des Lettres.
Le réseau télématique a été installé en avril dernier, proposant dès sa création plus de 25 000 titres. L’idée est simple. Tout le monde n’a pas la chance de trouver devant sa porte une librairie dont le fonds répondrait à tous les besoins, à toutes les envies. En milieu rural, acheter un livre signifie au mieux prendre sa voiture, faire quelques kilomètres aller et retour, sans être toujours sûr de trouver l’ouvrage convoité. Principales victimes de la désertification des campagnes et du coût de la distribution : les petites maisons d’édition, dont la production ne trouve sa place que dans les librairies des grandes villes.
C’est dire que certains auteurs n’ont guère de chance de trouver leurs lecteurs, et réciproquement.
En installant le 3615 LLO, Alain Schmidt faisait le pari que la demande en lecture d’amateurs frustrés permettrait de vendre suffisamment de livres pour que l’envoi des ouvrages soit assuré sans frais. Ainsi, le client se voit-il offrir un service de librairie à domicile gratuit. La librairie n’est plus située dans une ville voisine, ni même devant la porte, mais tout simplement chez soi. Aujourd’hui ce sont quelque 40 000 ouvrages qui composent le fonds de commerce de LLO.
Ce succès ne pourrait être que celui d’une entreprise commerciale, une bonne idée d’entrepreneur malin. Mais Alain Schmidt semble être un véritable amoureux des livres. Il a participé à la fondation du marche du livre d’occasion, chaque semaine au Parc Georges Brassens à Paris. Il est donc capable, le cas échéant, de faire aboutir les recherches d’un universitaire désireux de mettre la main sur un livre épuisé. « Toutes les demandes sont conservées. Si un ouvrage est épuisé, nous constituons un dossier jusqu’à ce que nous retrouvions un exemplaire de ce livre. Nous nous engageons à répondre à chaque demande ».
Dernières parutions, livres anciens voire épuisés, catalogues d’éditeurs, le 3615 offre un choix considérable aux lecteurs de tout l’hexagone.
Mais la télématique vient aussi en aide aux auteurs, et plus particulièrement aux auteurs autoédités. La librairie reçoit leurs ouvrages et les inscrit dans sa liste de titres.
La dernière fierté d’Alain Schmidt vient de ce service. C’est LLO qui, en effet, a été la première à lancer l’ouvrage d’André Degaine : L’Histoire du théâtre dessinée. L’ouvrage a vite quitté le sous-sol de la librairie pour être présenté à la caisse. En quelques mois, 850 exemplaires ont été vendus Un succès qui ferait pâlir bon nombre de maisons d’édition. L’auteur, un retraité des P&T est invité à l’émission Le Masque et la Plume sur France Inter, Les magazines s’enthousiasment pour l’enthousiasme d’André Degaine.
Le succès est tel qu’aujourd’hui ce sont les éditions Nizet qui éditent cette Histoire du Théatre…
Le libraire se fait donc distributeur au risque de voir affluer de plus en plus d’ouvrages autoédités dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont souvent d’une qualité très inégale.
A ceux qui considèreraient Alain Schmidt comme un fou, le libraire répond en donnant quelques chiffres : aujourd’hui les neuf employés de la librairie expédient en moyenne trente colis par jour. Le fichier clients comporte environ 4 800 noms. La prochaine étape dans l’évolution du service viendra des innovations technologiques : dès que possible, le client pourra, à partir de son minitel, régler ses commandes par carte bleue. Encore du temps de gagné pour, peut-être, lire un peu plus.