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Domaine français Orage et éclaircies

janvier 2019 | Le Matricule des Anges n°199 | par Blandine Rinkel

Sarah Chiche propose un récit rude et romantique des temps présents – où le sort de nos vies intérieures et celui du monde se révèlent intimement liés.

Les Enténébrés

C’est le récit d’une tension. Celui d’une force équivoque, qui agit en écartelant les corps. L’histoire d’une friction entre deux hommes au sein d’une même femme, elle-même tendue entre plusieurs visages, à l’intérieur du XXIe siècle qu’on sait on ne peut plus déchiré. C’est un texte en crise. Tout s’y agite, se contredit et c’est l’orage. 
Ce livre advient au dernier chapitre de l’Histoire – le nôtre, affirme Sarah Chiche – alors que les catastrophes environnementales et humaines se démultiplient, alors que des anticyclones d’ampleur s’installent au-dessus de nos têtes, alors qu’on retrouve sur une autoroute autrichienne, en 2015, un camion frigorifique immatriculé en Hongrie porteur de soixante et onze corps de réfugiés empilés.
L’histoire commence le 28 septembre 2015 à la gare centrale de Vienne, tandis que celle-ci déborde de misère et de sueur et que le regard de la narratrice, interdit et épuisé, croise celui d’un vieil homme, tout aussi exténué. De ce croisement, soudain, quelque chose naît. Quelque chose qui ressemble à une direction. « Je sens que ça n’est pas simplement moi qu’il regarde. Il fixe un point dans le lointain, que je reconnais soudain sans pouvoir le nommer. Je sais que c’est là d’où je viens et là que je veux aller. » Une direction ambiguë, cela va de soi, un horizon aussi amoureux que violent, mais une direction dont la narratrice ne se dérobera pas. Car chez Sarah Chiche, et c’est la force de son écriture, tout est contradiction et s’assume en tant que tel. Puisqu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens, comme dirait l’autre (Richelieu), mieux vaux encore ne pas en sortir. Aimer double et différemment, sans diminuer aucun des amants ni dévaloriser les douleurs (et les plaisirs) que ces rapports engendrent. Agir double aussi, avec générosité aussi bien qu’avec intérêt, et en rire « avec le sentiment de reconnaître absolument cette fine frontière entre l’exaltation et la destructivité qui fait que je sais très bien que l’on peut se jeter d’un pont toute joyeuse ». Chez Sarah Chiche, tout est dé-doublé et le reste, à commencer par elle-même, qui sans cesse se voit vivre, se voit faire, et même se voit voir. « La première fois, j’avais 10 ans, je visitais les châteaux de la Loire avec ma mère. Tout à coup, tout ce qui nous entourait devint un rêve rêvé par d’autres auxquels j’avais rêvé mais qui étaient morts. La réalité (…) avait une consistance à laquelle je ne pouvais plus croire (…). Ce fut un grand malheur ». Puis ce malheur, sans changer, de se dédoubler en chance – permettant à la narratrice de devenir psychologue et psychanalyste : « aujourd’hui encore, je ne peux considérer sans sarcasme ma faculté à déserter ce corps qui est le mien ». Ce qui, ce regard aiguisé et intransigeant, rend parfois la lecture du livre éprouvante.
Ce n’est pas facile, même le temps d’une lecture, d’habiter l’ambigu et la contradiction permanente. Cela ne va pas de soi de vivre dans les yeux de Sarah, dans son histoire faite de maladies mentales et de jeunes morts, parfois les deux à la fois, de relations incestueuses et d’humiliations en chaîne (puisque « les hommes humilient les femmes qui humilient les enfants qui humilient les animaux »). Ce n’est pas évident et ça ne cherche surtout pas à l’être. Roboratif, en revanche, oui. Comme la sensation d’être vivant qu’on éprouve après une course qui manqua de nous achever. Comme la joie bizarre qui émane des discussions où s’avouent les choses les plus rudes. Comme l’orgasme après l’effort. « Que nous soyons dans les temps de la fin n’empêche pas les interstices de joie. Ils se logent, pour moi, dans l’écriture. C’est une joie mélancolique. Mais vaste. »

Blandine Rinkel

Les Enténébrés
Sarah Chiche
Seuil, 366 pages, 21

Orage et éclaircies Par Blandine Rinkel
Le Matricule des Anges n°199 , janvier 2019.
LMDA papier n°199
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