Le Monde le monde et Distance nue sont encore habités par le mouvement tendu et imprévisible de ce qui va vite, passe toujours trop vite devant le regard. Ne reste, dès lors, dans le poème que quelques événements, comme la robe d’une femme qui se froisse dans le vent, le ravin et son ombre immense. Quelques événements récurrents, simples - des lieux, des choses, l’être aimé - qui témoignent donc de la vitesse dans laquelle ils apparaissent, de la distance nue où ils se dressent. Toutefois, comment retenir sur la page du livre ce qui s’engouffre dans la vitesse ? En éparpillant les mots du poème, comme d’un jeté de dés, ou, au contraire, par de longues unités, comme d’un flux continuel ? Surmontés d’une lettrine initiale, les poèmes de Le Monde le monde et de Distance nue ont tout l’équilibre d’une figure géométrique. Le travail sur le vers donne à entendre, en un rythme saccadé, abrupt et coupant, le sifflement de la vitesse dans son passage, l’éclair qu’il laisse dans les yeux. Dans tout les cas, il s’agit d’un air toujours insistant, autour duquel se rassemblent, en des ensembles de 16 vers, ou dans des petites unités de 2, 3 ou 4 vers, des bribes d’expériences quotidiennes. Ainsi, la fréquence de certains mots à revenir dans le poème n’apparaît pas comme l’effet d’un appauvrissement et d’une simple redondance. Elle se lie toujours à la façon dont la vitesse revient, se répète, fait retour, relançant la tension entre la volonté d’être et celle de tomber, abattu. Le poème de Vargaftig se resserre sur cet excès et cherche toujours à en dire la musique vive : « Trop de lumière comme emportée / Comme près de ton épaule / La vitesse était ce que rien ne referme / Un dévalement un mot / Soudain muet dans la ressemblance. »
Le Monde le monde
Distance nue
Bernard Vargaftig
André Dimanche éditeur
90 pages, non-paginé, 110 FF chacun
Poésie L’excès musical de la vitesse
décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°10
| par
Emmanuel Laugier
Des livres
L’excès musical de la vitesse
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°10
, décembre 1994.