C’est dans le quatrième arrondissement, près de Bastille, au fond de la petite rue Beautreillis (au N°4), que les éditions Lettres Vives ont élu domicile. C’est dans l’appartement de Michel Camus, à l’origine de cette maison fondée en 1981 avec Claire Tiévant, que les livres de la collection Terre de poésie ou les proses de Entre 4 yeux vivent et se développent. Michel Camus nous a reçus dans son large bureau encombré de papiers et de piles d’ouvrages, entre un vieux fax et un téléphone posé sur une suspension télescopique. Assis sur un fauteuil bas, tout près d’une table ronde où une bouteille de Bordeaux se fit d’une extrême générosité, en face d’une cheminée où trônent masques mexicains et pierres taillées datant du Paléolithique, le co-fondateur de Lettres Vives, par ses yeux en amande, ses larges sourcils que domine un crâne totalement nu, nous rappelle tout à la fois cette sorte de sorcier imaginé durant l’enfance et cet étrange personnage de série B américaine, dont une friandise (une sucette bien ronde) porte le nom. Mais Michel Camus n’est pas un acteur de série B, ni une friandise, ni un sorcier, mais un homme dont le trajet, jusqu’à Lettres Vives, est impressionnant, tant ses activités furent diverses et menées toutes dans un sens précis, « définitif » dit-il même. Lequel ? Celui d’une recherche intérieure, qui l’amena tout à la fois à s’intéresser aux grandes croyances, aux œuvres visionnaires (celles d’Abellio ou Daumal), à Sade, Bataille ou à la philosophie de Husserl, à fonder un centre de recherches paléolithiques en Corse, à diriger chez Fayard entre 1984 et 1988 la collection « L’Enfer de la bibliothèque nationale ». Et ce sont ces lectures, ces études, qui recoupent totalement, pour Michel Camus, un art de vivre, qui font aussi l’axe éditorial de « sa » maison.
On reconnaît vite les livres de Lettres Vives : les couvertures, de fort grammage, sont estampillées d’un hibou porteur de lunettes, entourées de flambeaux et de bougeoirs -encore un clin d’œil aux sorciers de notre enfance ! -. Massicoter alors, comme il se doit, les pages de quelques volumes revient à découvrir l’humour grinçant et la cruauté d’un Pierre Bettencourt, traverser la violence convulsive de Raphaële George (dont l’œuvre, passée inaperçue, est encore à découvrir), se laisser emporter par les longs vers lyriques du grand poète Portugais Herberto Helder, ou être aspiré dans la poésie verticale de l’Argentin Roberto Juarroz. Bref, il s’agit d’être habité par un texte, et Lettres Vives s’y engage : de l’expérience intérieure à la mystique sauvage.
Quel a été votre parcours avant la création de Lettres Vives ?
Il faut revenir à l’année 1953. J’avais alors 23 ans et séjournais au Canada, que j’avais rejoint par aventure et pour échapper au milieu bourgeois auquel j’appartenais. J’ai alors, fréquenté le milieu des « automatistes surrationnels », dont Paul-Émile Borduas (je le rencontrai en 1955 à Paris) fut l’un des membres les plus...
Éditeur Lettres vives, les feuillets de l’expérience intérieure
En quinze ans, les éditions Lettres Vives ont constitué une sorte de petite famille réunissant une vingtaine dauteurs et plus de cinquante livres. Des proses aux poèmes, il s’agit toujours d’écritures incarnées, allusives et secrètes, de véritables visions du monde…