Florence Pazzottu est la co-fondatrice de la revue Petite. Ce qui a motivé le choix d’un tel titre se trouve sûrement dans les quarante-quatre séquences de ce recueil éponyme : Petite, lançant autant de fois ces textes brefs et denses ; Petite, mot-virgule ouvrant à la parole, la relançant comme un « mot de passe. Le sésame du temps illimité d’une enfance moins retrouvée que maintenue », comme le souligne justement la quatrième de couverture.
« Qui garde sa tête d’enfant/ garde sa tête », dit Antonio Porchia, en exergue. En bonne correspondance, le texte remémore, sans le sucre de l’idéalisation, ce temps qui glisse de la douceur de la « candeur » à « la sarabande glacée » « des maisons étrangères » : « Petite, j’ai reçu tout l’amour du monde et aussi, un jour, un couteau qui, se trompant de trajectoire et rompant net un mûr vacarme, vint se coucher dans mon berceau ;-le doux et le tranchant ensemble ». (Petite, 37)
« Doux et tranchant », le texte tendu par ses ombres -ce tragique (innommable ?) qui sourd des pages- se dilate en des temps lumineux, pleins, persuadés. Ceux des jours premiers qui ne connaissent ni le doute ni le soupçon, et offrent « toutes les audaces », jusqu’à celles de renverser les donnes (rapports de force, échelles de valeurs) établies -« soumise mais souveraine, je cultivais mon ignorance ».
Écrire, comme un retour aux livres de l’enfance où « jamais n’échouèrent les signes » -leur « protection »-, c’est « continuer à donner un sol et relever mon âme ». À ceci près que les temps ont changé, qu’il faut écrire avec et contre, comme le suggère la séquence 36 : « Petite, je n’imaginais pas qu’il puisse exister de langue étrangère ». Écrire alors le « matériau biographique » de cet avant, dans cet après qui sait que « ce qui m’arrive n’arrive à (je ?) réellement que dans ma langue ».1
D’une seule phrase, laconique, ou longue, entrelacée comme ces séquences courant sur onze lignes, Petite, tire sa force singulière d’un art subtil de la ponctuation. Jouant des parenthèses, tirets, guillemets, et du point-virgule profus, Florence Pazzottu plisse son texte, le déplie, donnant à son écriture l’allure d’un rhizome générateur -régénérateur- de parole. Intervenant dans le dernier numéro de la revue Hi.e.ms consacré à la ponctuation1, l’auteur livrait un texte qui soulignait tous les jeux qu’ouvraient ces outils, spécifiquement le point-virgule qui, pour elle, « inventa la spirale, l’articulation des espaces, le dialogue inouï du dedans et du dehors ». Pour exemple : (Petite, 5) « Petite, j’avais un ami qui répondait au nom d’Albert : il ne me voyait pas -son esprit avait l’âge de sa jeune main coupée ; jamais à ses côtés (serrais gaiement son bras -sa main de bois gantée ; l’autre tenant sa canne) ne m’atteignit cette pensée : c’était un vieil aveugle qui n’avait qu’une main. »
Tout est là : la fraîcheur d’un regard ponctué par ce qui aide à lui garder respiration ; quelques « parcelles de grandeur ». Un autre texte, L’Accouchée est annoncé comme à paraître chez Comp’Act. Nous l’attendrons.
Petite,
Florence Pazzottu
L’Amourier
62 pages, 8,90 € (58 FF)
1Hi.e.ms No6/7 (cf. Lmda No35)
Poésie Petite est grande
décembre 2001 | Le Matricule des Anges n°37
| par
Pierre Hild
Florence Pazzottu fait d’un petit livre une marelle du temps gardé des trésors de l’enfance. À la recherche des sésames de l’écriture. Doux et tranchant.
Un livre
Petite est grande
Par
Pierre Hild
Le Matricule des Anges n°37
, décembre 2001.