Celan, c’est une langue, une voix, perceptibles même à qui ignore l’allemand. Celles d’un poète d’origine juive, né Paul Antschel, en 1920, dans l’ex-province de Bucovine. Après la disparition de ses parents en camp d’extermination, et après avoir lui-même connu les camps de travail, il viendra vivre à Paris où il se suicidera en 1970. Une œuvre écrite dans l’impensable de L’Holocauste, cet « événement sans réponse » (Blanchot). Une poésie qui a pour charge de questionner la foi incendiée, l’expérience du deuil, la désespérance. Travaillée, traversée jusqu’au vertige par la question du néant et de la simple possibilité d’une parole, elle thématise le plus obscur comme l’infigurable de la mort.
Dès le premier vers de La Rose de personne (paru en 1963 - première édition française en 1979) on est en face d’une parole qui, s’affrontant à l’abîme, a la tâche incommensurable de réfléchir l’obscurité comme l’éclat, la permanence comme l’éphémère, le calciné comme le refleurissant. En une langue tendue à l’extrême, blessée, écorchée, minée par l’insoutenable, inscrivant l’absence et le vide au cœur de ses fractures syntaxiques et sémantiques, Celan interpelle d’abord Dieu, l’impossible interlocuteur, celui qui n’y est pour personne, se tait quand on lui demande pourquoi il a « su et voulu » tant de mal. « Vous couteaux aiguisés de prière/ de blasphème, de prière,/de mon/ silence./ Vous mes paroles, qui vous estropiez/avec moi, vous/mes paroles droites. » Face à cette nouvelle équation -Dieu = Néant- le Je, plus solitaire et abandonné que jamais, est condamné à partir en quête d’un interlocuteur humain, d’un Tu qui serait l’horizon du poème. La Rose de personne, de fleur sanglante se fait rose des vents, fleur offerte, main tendue. Liturgie de l’extrême destinée à surmonter l’épreuve de la survie, les poèmes de La Rose de personne, s’ils ne cessent de renvoyer au saccage de l’humain, tendent à retourner le signe de mort en signe de vie, et réussissent à faire de l’inhumain la source d’une parole tournée vers l’humain.
La Rose de personne
Paul Celan
Édition bilingue
Traduit de l’allemand par Martine Broda.
José Corti
158 pages, 17,50 €
Poésie De cendres et d’espérance
novembre 2002 | Le Matricule des Anges n°41
| par
Richard Blin
Un livre
De cendres et d’espérance
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