Le premier poème du nouveau livre de Pascal Boulanger, sorte d’adresse cachée à ses lecteurs, dessine d’emblée une poétique, voire une éthique : « J’appelle poésie cette intrigue de l’infini/ où je me fais auteur de ce que je vois, de ce que j’entends. » Rien de moins. Et, dirons-nous, c’est la moindre des choses que l’on puisse attendre de l’acte de parole de la poésie : qu’elle ne soit, selon les mots d’André du Bouchet, ni du pur discours replié sur lui-même (démonstratif), ni un jeu sur le langage. Soit : que l’exercice de la poésie, dans son sens fort, et dans le lien paradoxal qu’elle a avec la vie, soit la nécessité d’une confrontation avec le monde, nos circonstances étant faites de l’entrecroisement de ses événements. Ou encore : que le poème est le témoin spécial, le conduit, le corps conducteur, de la venue infinie des choses, de la rue, de l’émotion du passant à l’effroi de l’émeute. Ce que Pascal Boulanger appelle avec ses mots « l’intrigue de l’infini ».
L’Émotion, l’émeute dessine avec Martingale (Flammarion, 1991) et Tacite (Flammarion, 2001) le dernier pan d’une sorte de triptyque, dans tous les cas la synthèse d’une problématique : « On voit, est-il écrit dans L’Émotion…, ce qu’il faut voir la face visible de ce monde est sa face unique infiniment légère dans son enveloppe bleue la fumée sort des toits les quais sont bondés de neige on est aussi seul que lorsqu’on était enfant catholiques errants on reste debout (…) ».
Partagé en deux parties, l’une et l’autre composées de poèmes éclatés sur la page ou de blocs de prose serrés, L’Émotion, l’émeute cherche, dans son errance, « le mauve accentué autour du tilleul », que le poème y soit une respiration, l’air qui nous sauvera de l’écrasement, l’air par lequel inventer ses propres passions. Au travers du battement de cette couleur, il sera donc question de viser un « dire oui », « Quand la foule entière se masse/ Autour des maisons aux vitres noires ». Que les mots soient ce déplacement coloré : « je dis/ un collage peut bouleverser le paysage ». Il y a une rage dans le projet poétique de Pascal Boulanger (ses textes critiques, articles ou notes de journal, en sont aussi le reflet), le refus de céder à une littérature de la mort, de suivre sa voie nihiliste, pur décalque de l’aliénation générale, de la transformation du monde en simple marchandise, ou de l’exposition complaisante de ses représentations. Le poème de Boulanger est par là aussi une machine critique. Refusant d’être envahi par la passion régressive du cliché, il fait face à l’épuisement du monde en ré-enchantant sans nostalgie la possibilité d’y habiter. Refigurer l’infigurable, ou ce qui, sous les yeux, se défigure, est, semble-t-il, la tâche du poème, comme, plus généralement, celle de toute pensée critique : « jamais seul toujours seul dans le noir », telle est l’oxymore qui divise et unifie l’écrivain à son semblable. « Le meilleur le pire, écrit-il, tout est possible le dé lancé l’événement nous jette plus loin que lui-même (…) ». Pascal Boulanger sait y être, « simplement là dressé ».
L’Émotion, l’émeute
Pascal Boulanger
Tarabuste
75 pages, 10 €
Poésie Partout ici même
mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44
| par
Emmanuel Laugier
Le quatrième livre de poésie de Pascal Boulanger est, sous son titre paradoxal, une confrontation déchirée au monde tel qu’il ne va pas, pour y inventer une respiration.
Un livre
Partout ici même
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°44
, mai 2003.