André de Richaud naît en 1909 à Perpignan. La Première Guerre mondiale lui enlève son père, et l’année 1923 le laisse définitivement orphelin. Après avoir passé l’agrégation, il devient enseignant. Âgé de 21 ans, il publie La Douleur, premier roman remarqué par Mauriac, Bernanos et Delteil (à qui il a consacré un essai en 1927), et qui obtient un beau succès auprès des critiques. Après La Fontaine des lunatiques, paru en 1932 chez Grasset et Fasquelle, il abandonne l’enseignement pour ne plus vivre que de sa plume. C’est que le romancier, qui est aussi poète et dramaturge, se trouve promis à une belle carrière littéraire, soutenue par Cocteau et Camus entre autres. Il va pourtant sombrer, publiant des romans qui déconcertent la critique, et devenant au fil des livres une sorte d’écrivain maudit. Sa déchéance ne s’arrêtera plus : alcoolique, misérable, oublié, il se fait admettre à l’asile de vieux de Vallauris en trichant sur son âge (il n’a pas encore 50 ans). Avant de mourir en 1968, il revient sur la scène littéraire avec Je ne suis pas mort, roman récompensé par le prix Nimier.
La Fontaine des lunatiques se joue presque à huis clos, et comme dans la pièce de Sartre du même nom, pour Richaud, l’enfer c’est les autres.
C’est non loin du village de Sabran que ce roman trouve à se développer, dans un paysage de montagne peu adapté à la vie humaine. Dans une maison retirée, dissimulée aux regards par un bois de pins, vivent trois hommes. Hugues, âgé de 18 ans, anti-héros par excellence, n’est encore « jamais allé de l’autre côté de la montagne » et n’a « aucun désir de quitter la maison » ; son père passe l’essentiel de son temps penché sur le clavier d’un piano ; à l’étage, le grand-père paternel de Hugues, qui a déjà derrière lui quinze années de tétraplégie, vit ses journées devant la fenêtre de sa chambre en observant la campagne. Trois générations donc sous le même toit : un fils prisonnier, un mélomane, et un paralytique, c’est-à-dire « une grosse masse mystérieuse, limitée par une peau blanchâtre ». Les trois hommes sont assistés par la vieille Malon, une domestique qui se rend au village chaque samedi, et qui constitue leur seul lien avec le reste du monde.
On assiste aux dernières heures du grand-père, qui s’autorise une interminable agonie, mais dont la mort malgré tout imminente perturbe déjà l’équilibre fragile sur lequel repose la vie de la maisonnée. Lorsqu’elle est enfin advenue, elle offre à Hugues l’occasion d’une descente au village. Comme on pouvait s’y attendre, cette rencontre lui est quasiment traumatique.
Au moment où les fossoyeurs déposent le cercueil dans le caveau, un bruit se fait entendre dans le cercueil voisin. La nuit venue, et la liqueur de lune aidant, le père et le fils décident d’y aller voir d’un peu plus près. Malgré un séjour d’un demi-siècle, la défunte n’a rien perdu de sa beauté, une beauté qui harcèlera Hugues jusqu’aux dernières pages du roman. Quant au bruit, il était simplement émis par un petit serpent.
Peut-être à cause du silence, devenu encore plus dense, Hugues médite soudain son évasion, découvre un jour les pièces d’or qui lui permettront de fuir cette vie carcérale, hésite encore un temps, puis se décide, quitte un soir la maison et part à la rencontre du monde. Il file aussitôt vers la mer, qu’il n’a encore jamais vue. Peu après, il se retrouve embarqué dans une drôle de galère, en l’occurrence une barque, en compagnie de voleurs qui se préparent au pillage d’un navire. L’aventure tourne mal, et Hugues regagne le port à la nage. On se dit alors que tout est possible, qu’il pourrait bien prendre le prochain train, tenter la bohème à Paris, aller probablement de Charybde en Scylla. Il n’en sera rien.
Pendant son absence, son père construit un orgue en argile, qu’il installe au sommet d’une montagne, souhaitant inviter ainsi le vent à interpréter le concerto dont il rêve depuis toujours. Le soir où le vent se décide enfin à assumer son rôle de soliste, le jeune homme connaît sa première union charnelle. Mais une musique extraordinaire lui parvient, une musique qui l’arrache au corps féminin, à la mer, et le ramène malgré lui à la maison.
On se gardera ici de dévoiler la fin de ce roman, afin de préserver le suspense qui plane sur les dernières pages. On se contentera de dire qu’elle est plus déconcertante que le reste, cédant enfin à un fantastique avec lequel le roman a pour ainsi dire toujours flirté.
La Fontaine des lunatiques est un roman à la technique impeccable, avec des temps morts qui font monter le suspense, et une lenteur qui permet au lecteur de s’immerger dans le décor. Il est écrit dans une langue classique, époussetée, parfois trop propre, capable en peu de mots de créer une atmosphère, et de plonger plusieurs vies dans un silence qui leur sera fatal. Mais c’est la présence sous-jacente du fantastique qui en fait la saveur, un fantastique qui semble dire que jusque dans les vies les plus humbles se cache toujours un fond de mystère. Ce qui, pour lors, les rend dignes d’intérêt.
La Fontaine des lunatiques
André de Richaud
Grasset, « Les Cahiers Rouges »
182 pages, 7,60 €
Intemporels Le lent écoulement
juillet 2004 | Le Matricule des Anges n°55
| par
Didier Garcia
Avec ce bref roman, André de Richaud entraîne son lecteur dans le monde du silence et des mystères. En somme, un univers carcéral.
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Le lent écoulement
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°55
, juillet 2004.