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Intemporels Au fond du trou

février 2024 | Le Matricule des Anges n°250 | par Didier Garcia

Avec Le Puits, l’Espagnol Iván Repila plonge deux jeunes frères sept mètres sous terre, et impose au lecteur une vraie séance de suffocation.

Comment deux enfants peuvent-ils se retrouver prisonniers au fond d’un puits de sept mètres de profondeur au beau milieu d’une forêt (dans laquelle vivent des loups) avec un sac plein de provisions (contenant une miche de pain, un morceau de fromage, des tomates séchées et des figues) auquel ils ne peuvent pas toucher parce qu’il est destiné à leur mère ? Comment un représentant de commerce (Gregor Samsa) peut-il se réveiller dans son lit métamorphosé en insecte géant ? Qu’il s’agisse de Repila pour la première ou de Kafka pour la seconde, ce sont des énigmes auxquelles il est inutile de chercher une réponse. Des énigmes qu’il faut surtout admettre, et prendre comme le seul point de départ possible de l’histoire qu’elles engendrent.
Deux frères donc. Le Grand, et puis le Petit. Dès la première page, ces deux-là se trouvent au fond d’un puits. Ce qu’ils cherchent, pour commencer, c’est ce que chacun chercherait en pareille circonstance : un moyen pour se tirer de là. L’escalade par exemple. L’appel à l’aide. La propulsion du plus petit par le plus grand. Peine perdue : pas d’évasion possible. Ce premier constat à peine formulé, la faim est là. Une drôle de faim tout à coup, inédite, obsédante, surtout avec ce sac plein de provisions à côté de soi. Un sac difficile à oublier dans un puits, qui n’a vraiment rien d’une épicerie.
Après un premier cycle lunaire passé dans le trou, les deux frangins décident de modifier leurs habitudes (on ne sait jamais), par exemple d’appeler au secours en latin, afin qu’à l’extérieur on les prenne bien pour des êtres humains et non pour des animaux. Bien évidemment, le latin ne suffit pas à changer la donne, et au fil des jours la raison de leur présence se fait encore plus mystérieuse. À tel point que le Petit demande soudain à son frère, au chapitre 29 : « Pourquoi est-ce qu’on est là ? » Avec cette question sans réponse on prend soudain conscience d’une autre énigme : la numérotation des chapitres, qui fait passer de 5 à 7, puis de 7 à 11, de 11 à 13, de 13 à 17… Mais cette fois l’énigme est plus facile à résoudre : ce sont les chiffres premiers inférieurs à 100 (le dernier chapitre porte donc le numéro 97).
Fier de cette découverte (cela fait quand même une énigme de moins), on revient au puits et aux deux gamins. Qui organisent leur séjour comme ils peuvent, le Grand s’efforçant de fortifier ses muscles pendant que le Petit ramasse sur les parois tout ce qui peut être mangé (vers, larves, insectes, racines à sucer), dont il fait une pâte épaisse, et qu’ils avalent avec l’eau fangeuse des flaques. Malgré eux, et parce qu’il faut bien vivre malgré tout, il y a comme une routine qui s’installe. Et quand agir ne suffit pas, on peut toujours se réfugier dans les rêves, comme ceux du Petit qui, durant l’épisode de canicule (il y aura la pluie diluvienne quelques pages plus loin, pour transformer le puits en marécage), imagine des « torrents d’orange douce dans lesquels plonger ». Ou dans les délires invraisemblables du Grand, pleins de poésie, grâce auxquels il peut parler à son frère « des lunes jumelles du Nord, et des arbres ambulants du Sud, des colombes déchues vivant dans les profondeurs des lacs, des maisons dont les yeux, à la place des fenêtres, versent des larmes de vin quand leur propriétaire s’en va ». Mais il arrive aussi qu’il n’y ait rien d’autre que des envies de meurtres. Des pulsions de haine froide, venues ils ne savent d’où, et qu’ils gèrent tant bien que mal.
Soudain, alors qu’on commence à désespérer de les voir sortir de là (cela fait deux mois et demi qu’ils croupissent dans cette drôle de prison), alors qu’on a renoncé à comprendre ce que ce trou symbolise, quelle pénitence ou quelle expiation il incarne pour les deux frères, le Grand se prépare à faire sortir le Petit. Mais à une condition : qu’une fois à l’extérieur ce dernier tienne une promesse que l’on taira pour ne pas spoiler le lecteur.
C’est en sueur que l’on sort de ce Puits (premier roman publié en 2013 d’un auteur né en 1978), à force d’avoir suivi ces deux petits dans leur enfer. D’avoir souffert, suffoqué, espéré avec eux. En lisant Le Puits, on songe bien sûr au huis clos de La Femme des sables de Kôbô Abe, au Mur invisible de Marlen Haushofer, aux Saisons de Maurice Pons, mais on se surprend surtout à penser aux calvaires que certains êtres humains vivent au quotidien, qu’il s’agisse d’une maladie, de la pauvreté, ou encore de maltraitance. À tous ces puits sans nom qui existent de par le monde, qui n’ont pas plus de sens que celui de Repila, et sur lesquels aucun roman ne s’écrit.

Didier Garcia

Le Puits
Iván Repila
Traduit de l’espagnol par Margot Nguyen Béraud
10/18, 128 pages, 6,40

Au fond du trou Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°250 , février 2024.
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