Comment la poésie se fait délire, Artaud le grand malade l’avait déjà montré et Edith Azam se jette à sa trace, éperdument, dans une exploration artistique d’états mentaux - réels ou pas - limites. « Rien que, rien que, rien que parce qu’il faut le vivre, cette lame qui tombe, juste un instant seulement, elle tombe, te coupe à la ligne et t’ouvre jusqu’à toi - »
La forme langagière tient lieu et place d’une expérience du corps, et fatalement de l’esprit, aussi insupportable que fascinante : « Blanc silence : Secousse sismique - / Il ne faut pas me détacher de moi - / Il ne faut pas vouloir que je quitte langage ». Le poème tend à se faire matière, qui coupe, fouette et disloque, qui donne le vertige, labouré par des forces telluriques. Le corps en son anatomie même est le protagoniste principal, malmené et éprouvé de mille façons que Michaux n’aurait pas imaginées, souvent intégré dans un environnement inamical : « Le cerveau, bouche ouverte, qui n’accepte plus rien - / Et les yeux, pulmonaires, devant le ciel trop bleu ». De temps à autre se fait entendre un bouleversant appel à l’aide ou un aveu d’impuissance : « Accueillir tendrement le monde ! / Je - Pas moi - / Un cheveu tombe. / Gratte cervelle. / Syncope des synaptitudes ». L’extérieur est hostile ou inaccessible, fantasme le plus souvent rêvé sur un mode ahuri ; mais, dans les opuscules qui composent la plaquette illustrée Opium…, des moments de paix : « Les mains de l’oiseau, / L’océan accueille : / La pluie sous ta peau / Le regard baltique, / Le silence nu ». Plus que jamais, le poème est ici un objet auto-déclaré, il procède de lui-même et ne se veut pas affine à quoi que ce soit. Il a une fonction et un effet qui laisse l’instance du lecteur hors champ : « Écrire déplate la tête mais tête à plat, tourne tout moi ». Un bel objet, précision naïve mais non inutile, car Edith Azan (née en 1973) construit à partit du flux linguistique des formes aussi solides et inouïes que les roches de la Cappadoce ou les récifs de corail.
RUPTURE ET opium / le ciel, & le vent
D’EDITH AZAM
Le Dernier Télégramme, 80 pages, 14 e ; LAPS/lesuc&l’absynthe, n.p., 6 €
Poésie Rupture
février 2009 | Le Matricule des Anges n°100
| par
Marta Krol
Des livres
Rupture
Par
Marta Krol
Le Matricule des Anges n°100
, février 2009.