En accords humbles, purs, comme embués de complicité perdue, une sœur s’adresse à son frère aimé disparu. À la frange du dépouillement absolu, en strophes de trois vers à la simplicité insurgée - et évoquant les ondes circulaires autour d’un point de chute - c’est un vide que cherche à baguer Camille Loivier, et des lumières de clairière qu’elle cherche à préserver. En neuf chants - comme les neuf cercles infernaux ou les neuf jours qu’a passés Déméter à parcourir le monde à la recherche de sa fille -, c’est contre la force qui excentre qu’elle lutte. « Ce sont les mots/ qui te donnent/ une présence mais pour rien ».
Ni thrène en crève-cœur majeur ni légende d’une vie morte, Il est nuit tient plutôt de l’adieu impossible, d’un adagio de douceur. Toujours en deçà, vouée et à distance, la parole contracte et libère une réalité qui apparaît comme suspendue sur fond de néant. Entre précipités de silences et bourrasques du cœur, cristallisent « des impressions, des dépressions », des souvenirs. « Suis montée sur une moto-cross/ dans un champ/ ensuite je vois la rivière// tu cries / « freines ! »/ j’accélère ». Détails précis, ombre chérie, bonheurs enfantins, c’est le passé qui revit en reflets obliques - « instants qui apparaissent/ comme des étincelles, des joyaux/ ou du vernis sur les ongles de pied ».
Des mots qui sonnent juste dans leur poursuite d’une ombre désancrée, qui tentent d’approcher le mystère d’une vie dont perdure la radieuse trace. Des éclats d’églantine dans un jardin enneigé, des chaos de pudeur, des battements d’abîme sur fond de vie comme ankylosée. « Il y a une mésange bleue/ dans mon arbre sans olive/ il y a dans le froid ». C’est que dans Il est nuit, les ténèbres sont transparentes, et le présent fragile comme fleur au flanc d’une montagne. Parce qu’il n’est plus. « Tu n’es plus que l’instant/ tu nous regardes/ avec l’intensité d’un moment sans retour ».
IL EST NUIT
de CAMILLE LOIVIER
Tarabuste, 156 pages, 13 €
Poésie Il est nuit
mai 2009 | Le Matricule des Anges n°103
| par
Richard Blin
Un livre
Il est nuit
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°103
, mai 2009.