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Domaine français Les histoires d’A

juin 2011 | Le Matricule des Anges n°124 | par Valérie Nigdélian

Sur fond de roman-photo décalé et de réjouissante absurdité, Joël Baqué livre une version désabusée de la lutte des classes.

Aire du mouton

Un premier roman qui commence comme un mauvais film : « un homme, une femme, un bord de mer, n’importe laquelle aurait fait l’affaire ». Se laisserait-on aller à fredonner un chabada réminiscent que Joël Baqué coupe court à toute effusion : ses « personnages », désincarnés et sans nom, demeureront des silhouettes vagues se détachant sur le fond d’un ciel « d’un bleu de saison », sans autre précision. Pour se prémunir de la mélasse sentimentale et de toute tentation romanesque, rien de tel que de réduire le monde, comme le texte, à sa version géométrique (la trajectoire de l’homme qui marche dessine une « parallèle (…) au rivage », le sandwich qu’il termine est « triangulaire »), statistique (« quatre-vingt-trois pour cent des usagers droitiers de la cuiller l’utilisent dans le sens des aiguilles d’une montre ») ou proverbiale (avec des sentences définitives du genre « Comme on fait son lit on se couche » ou « Le pain au seigle se conserve mieux que le pain au froment »).
Sur cette plage huppée de Knokke-le-Zoute, ce « Saint-Tropez du Nord », « ils se rencontrèrent, néanmoins ». Ils ? C’est-à-dire lui, un représentant en parfum très classe moyenne en transit pour Boulogne-sur-Mer où l’attend son équipe commerciale pour de fiévreuses réunions, et elle, ci-après « la JF », jeune femme de la haute languissant sous ses verres fumés. Lui, « célibataire (…) chronique (…) » dont la vie est « une succession de temps morts entrecoupés d’actions commerciales », percevant la réalité au filtre des tubes diffusés par « Radio Nostalgie, sa station fétiche ». Elle, fille de Midas (son père ne gagne pas d’argent, il en fait) et de la Femme Élastique (une mère dont la fermeté siliconée et la blondeur étudiée « représente(nt) près de trente ans d’investissement soutenu »), jeunesse dorée absente à elle-même, interdite de désir, de plaisir, prisonnière des apparences. Lui, travailleur laborieux avalant du bitume à longueur de journée, vendant du prêt-à-rêver frelaté. Elle, oisive chic contemplative, appréhendant la réalité sur un mode esthétique, admirant une installation d’art contemporain comme elle admire « cette harmonie entre travail salarié et mauvaises manières, comme on admire toute adéquation du fond à la forme ». Lui, Français. Elle, Belge. Entre eux, une frontière. Théorème improbable, la rencontre de « elle-femme et (…) lui-homme, la somme des deux = couple » a lieu, « néanmoins », comme si la kyrielle d’oppositions binaires qui définit leurs mondes respectifs pouvait être un seul instant dépassée (plage privée vs plage publique, « croquettes (de crevettes) » vs « beignets (de crevettes) », art conceptuel vs survêtements aux « couleurs de casaque de jockey »).
De ces clivages si écrasants qui fondent les déterminismes, il advient que « Tout peut donc arriver, mais tout n’arrive pas. » Dans cette société de masques et d’apparences, les êtres sont sans visage – n’opposant au regard de l’autre que son reflet dans les verres fumés précités ; et quand par hasard l’intériorité apparaît, elle est un vertige violent et un cri muet. Enfouie sous la brume d’éther d’une conscience cotonneuse, la terreur panique d’être au monde fait de l’être un ectoplasme passif (l’esprit de « la JF » est « une masse opaque parcourue de courants imprévisibles où les pensées ondulent comme des algues en suspension ») : tout le reste n’est que représentation et jeu de cirque, incandescences dérisoirement épidermiques incapables de rompre l’atavisme poisseux qui empèse les « personnages ».
Tragique ? Oui, mais on rit de la drague laborieuse du VRP, toujours référée au « module Construction de l’échange verbal de son BTS Action commerciale ». On rit de son incompréhension déconfite face au mutisme têtu et ambigu de la donzelle, de ses stratégies de conquête hésitantes ou exaltées selon le morceau diffusé par la radio (de La Maladie d’amour à Eye of the Tiger), de son indéfectible bon sens (« même l’amour le plus sincère ne peut faire l’économie d’une étude de marché »). On rit aux séquences chaotiques des dialogues (de sourds) dans le flottement étrange d’une anesthésie généralisée. On rit surtout de la capacité à l’autodérision dont fait preuve Joël Baqué – poète et officier de police, il fallait l’inventer –, à son sens aigu du décalage, de ce ton unique, mélange d’ « excentricité britannique » et de « surréalisme belge », aussi ironique et absurde que les lièvres du sculpteur Barry Flanagan – bronze face auquel le VRP, suivant « la JF » à dos de vélo jusqu’à la réserve ornithologique du Zwin, demeure médusé sous un tsunami d’incompréhension.
On rit de cette langue étrange, traduite d’on ne sait quel idiome, capable d’emballements soudains comme d’ankyloses obstinées dans un bon sens pas piqué des vers, d’associations saugrenues, de comparaisons loufoques. Ainsi la morale de l’histoire : « Vu de l’extérieur rien n’évolue vraiment. (…) Vue de l’intérieur des personnages la situation reste stable quoique moins nette que le paysage, c’est normal, les paysages sont mieux éclairés ».

Valérie Nigdélian-Fabre

Aire du mouton
Joël Baqué
P.O.L, 192 pages, 11

Les histoires d’A Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°124 , juin 2011.
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