Les bars font partie intégrante du « mythe personnel » – pour reprendre une de ses formules – que César Aira s’est construit au fil du temps. L’essentiel de son œuvre y a été écrit, au stylo-plume, d’une calligraphie patiente, dans des petits carnets qu’il soigne avec un soin fétichiste. Il nous en montrera d’ailleurs un flambant neuf, ramené de l’Uruguay voisin. C’est donc naturellement dans un bar qu’il nous donne rendez-vous. Ce qui, sans vouloir jeter le cheveu de la couleur locale dans la soupe littéraire, n’est que justice dans une ville comme Buenos Aires, où les bars accueillants et spacieux ne manquent pas – à la différence de ceux parisiens, où on a toujours l’impression d’être assis à la table du voisin. Un privilège dû à notre condition d’étranger, puisque cela fait des années qu’il refuse tout contact avec la presse argentine. Loin des coteries germanopratines de certains de nos auteurs renommés, mais loin également des quartiers touristiques portègnes aux odeurs de tango réchauffé, Aira préfère les bars anonymes et populaires, tel celui où nous nous sommes retrouvés, quelque part sur l’interminable avenue Rivadavia, qui coupe la capitale par le milieu, comme une raie bien tracée. C’est le quartier de Caballito, qui jouxte celui de Flores, cher à notre auteur, non loin d’un parc célèbre pour ses bouquinistes. La chaleur humide est digne d’un mois de février austral, les manches sont courtes et l’auteur est fidèle à lui-même, souriant et nonchalant, égrenant les anecdotes d’une voix posée, toujours prêt à rire à l’évocation de certains de ses livres, comme s’il s’agissait des bons tours d’un enfant joueur. La conversation, d’une digression à l’autre, dessine un portrait en creux, ludique et subtil, d’un écrivain fantaisiste qui est d’abord un grand lecteur. Chez lui, toute occasion est bonne pour faire de la littérature.
Votre ami d’enfance, le poète Arturo Carrera, cite dans une conférence une lettre de vous, très jeune, où s’annonce déjà votre programme esthétique : écrire beaucoup, avec une imagination débordante et véloce. « Le secret, c’est de ne rien relire », affirmiez-vous alors…
Arturo et moi, on était inséparables à Pringles. Il est parti à Buenos Aires en 1966 et moi l’année suivante. Tandis que j’étais encore à Pringles, on s’écrivait. Deux fois par semaine. Et ce qu’il y avait d’enthousiasmant, au-delà du contact entre amis, c’était de pratiquer le style, non ? Écrire et avoir un lecteur. Du coup, on s’écrivait des lettres interminables. Arturo m’en envoyait parfois cousues avec des fils de couleurs et moi je ne faisais qu’écrire, dans un style exubérant, d’une exubérance juvénile, tout ce qui me passait par la tête. Et de temps en temps, à ma grande honte, Arturo les ressort…
Durant cette première année, il a fait la connaissance d’Alejandra Pizarnik, que j’ai connue ensuite et qui a été un de mes modèles, avec Osvaldo Lamborghini. Des modèles à l’ancienne, pas comme maintenant, où les...
Dossier
César Aira
Éloge d’une littérature détendue
mai 2016 | Le Matricule des Anges n°173
| par
Guillaume Contré
Dans un entretien généreux, l’écrivain se dévoile tel qu’en lui-même : fantasque et subtil, passant de l’évocation de ses débuts à sa conception de la littérature
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