Si l’on en croit la bibliographie indicative, cela ferait trois livres en dix-sept ans. L’un chez Baleine, l’autre au Seuil, Raphaële Eschenbrenner a précédemment signé L’Homme sans accessoires et Exil à Spanish Harlem, ce dernier vivement salué à sa parution, nous dit-on, par Gérard Guégan. Après New York, où elle a vécu, cette traductrice de livres jeunesse s’en revient, de nouveau, avec un livre américain. Cette fois en banlieue d’Indianapolis, quelques mois sur le chantier d’une demeure pensée comme « la réplique d’un château français ». À la suite d’Ethel, la narratrice, on se glisse dans une Amérique à la fois profonde et kitsch, ce tranquille arrière-pays du Midwest où rien ne laisse deviner la poudrière. Ici tout est possible, et surtout le pire, le malaise identitaire, mal ordinaire qui mine les relations entre certains Américains. C’est au détour d’une petite phrase prononcée au sortir d’un évanouissement – « Il a marmonné que ça allait mal finir » – que l’on croit comprendre l’intention de Raphaële Eschenbrenner : quelque chose en Amérique s’est évanoui (une forme d’espérance ?), et quelque chose à présent menace.
Sans rebondissement fracassant, sans artifices par trop romanesques, Eschenbrenner raconte ainsi l’ordinaire de la violence, de l’égoïsme, ce qui consume à petit feu les hommes que plus rien n’anime, ou si peu (une collection de poupées par exemple) que c’en est risible, dérisoire. Survivance du racisme, cette « chose ancienne », indifférence entre ceux que tout, pourtant, paraît devoir rassembler, ballet d’ombres qui se croisent (Sally, Pavel, Jimmy, Brian, Shad… sans oublier le fantomatique propriétaire milliardaire du château), et tous ces lieux non-lieux, bar, baraquement, motel, chambre sans charme au « papier peint déchiré » : c’est là toute l’équation, l’arithmétique du morcellement. Car morceau par morceau, l’Amérique part en lambeaux.
Anthony Dufraisse
L’Arithmétique du mal de Raphaële Eschenbrenner
Vagabonde, 99 pages, 10,50 €
Domaine français L’Arithmétique du mal de Raphaële Eschenbrenner
mars 2017 | Le Matricule des Anges n°181
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
L’Arithmétique du mal de Raphaële Eschenbrenner
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°181
, mars 2017.