Une histoire que j’appelle prénatale, écrite presque en vers, mais qui n’est pas un poème. Il s’agit d’un livre où prédomine mon instinct. » C’est ainsi que Silvina Ocampo présente le curieux objet littéraire que sont ces Inventions du souvenir. Pas tout à fait un poème, effectivement, puisque ce long récit qui cherche à générer chez le lecteur des images (celles, insaisissables, d’impressions fugaces, comme ressurgies du plus lointain de l’enfance) prétend moins à la charge lyrique ou sémantique du mot qu’à l’immédiateté « naïve » d’une évidence. Non pas reconstruire péniblement, mais retrouver le regard des premières années, où tout est surprise, devinette, étonnement, perplexité. Publiés de façon posthume, ces vers simples s’organisent en épisodes plus ou moins linéaires, en séries de scènes : « Ce qui manque aux souvenirs d’enfance c’est la continuité :/ les souvenirs sont comme des cartes postales,/ sans dates,/ que l’on change capricieusement de lieu ». Ils ont quelque chose d’intime, de presque privé, qu’il faut rattraper, car « quelque chose s’interrompt et s’arrête pour toujours ». Rien d’impudique, pourtant dans ce long proto-poème qui n’a rien d’une confession. C’est une invitation plutôt : « Ce qui aujourd’hui lui est si familier/ peut ne pas l’être pour les gens/ qui vivent très loin », « à quoi bon inventer !/ Plus étrange est ce qui est réel ». Comme dans ses nouvelles où se déploie un fantastique quotidien, peuplé de petites filles parfois perverses, l’enfance que propose ici Silvina Ocampo est ce moment où le monde est perçu pour ce qu’il est, étrange et inquiétant : « Nul ne sait qu’au fond de la citerne/ il y avait une tête plus nette que la sienne,/ une gorge qui répondait à ses cris :/ Quoi ? Quoi ? Quoi ?/ une main tendue/ qui attrapait les pierres interdites qu’elle lançait ». Ce livre insolite et sensible peut aussi se lire comme une tentative par l’auteure de revenir aux sources de sa propre singularité : « Comment aurait-elle pu, dans cette liste/ de péchés arbitraires, trouver le sien,/ personnel et subtil,/ si opposé aux manières de ses proches ».
Guillaume Contré
Inventions du souvenir,
Silvina Ocampo
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Anne Picard
Des femmes, 192 pages, 16 €
Poésie Inventions du souvenir
juin 2021 | Le Matricule des Anges n°224
| par
Guillaume Contré
Un livre
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°224
, juin 2021.