L' Île rebelle
Il manquait à la poésie britannique du XXIe siècle une anthologie, aussi complète que le furent les Matières d’Angleterre (In’hui, 1984) en leur temps. C’est chose faite grâce à Martine De Clercq et au poète Jacques Darras qui ont réuni ici un vaste choix, dont le mérite consiste à croiser les différents traits (bigarrures et unité) que la poésie anglaise donne à sentir à travers son histoire, sa situation îlienne, dont se définit aussi son détachement rebelle. C’est en effet sous « l’autorité » (très souvent désastreuse) de la monarchie anglaise que l’ensemble des pays qui s’y attache (l’Écosse et le Pays de Galles), sans compter ceux qui, par leur histoire (coloniale) restent sous la veille symbolique du Commonwealth, que l’on a parlé d’une Angleterre.
L’Île rebelle donne donc à entendre les voix des trois pays susnommés, quand même certains poètes ont des origines indiennes ou canadiennes. Les grandes oppositions entre les héritages ruraux du Nord aux caractères plus urbains du Sud s’y marquent souvent (Tony Harrison, Sean O’Brien, Liz Lochhead…). Ailleurs, l’ironie et le sarcasme orientent la recherche du poème, celle par exemple de Fleur Adcock, de Selima Hill (« Je veux être une vache/ pas la fille de ma mère »). On mesure aussi à cette somme comment les héritages de l’imagisme de Pound, de T.S Eliot, Ted Hugues ou encore Auden, comme de celui de Worsworth ou de Hopkins (chez l’immense Geoffrey Hill) construisent les inflexions des voix anglaises et en dessinent les partitions : celle, savante, de J. H. Prynne, minimaliste et proche de l’objectivisme américain (Tom Raworth), sentimentale distanciée (Stephen Romer), d’une inquiétante étrangeté chez John Burnside, ou encore la grande voix (épique descriptive ornithologique) venue des Antilles britanniques de Derek Walcott : « L’idéal perpétuel, c’est l’étonnement./ Frais gazon vert, arbres tranquilles, forêt/ sur la colline puis, intrusion blanche d’une aigrette/ lancée dans le cadre à toutes voiles ».
E. L.
L’île rebelle.
Anthologie britannique au tournant du xxie siècle
Édition bilingue.
Choix, traduction, préface de Martine De Clercq et Jacques Darras
Poésie/Gallimard, 555 pages, 15,50 €