En 2015, Mária Sándor, une infirmière d’un service de néonatalogie, décide d’alerter et de se battre contre le mauvais état du service de santé hongrois. Entre autres en incitant le personnel des hôpitaux à venir travailler en blouse noire. Elle deviendra très vite « l’infirmière en noir ». Soutenue au départ, applaudie, encouragée, son action est fortement combattue par le gouvernement et par certains médias, la pression augmente, ses soutiens se font plus rares, plus discrets, elle est contrainte de démissionner, se retrouve seule et tentera de mettre fin à ses jours. Elle en réchappera miraculeusement. À partir de cette histoire, Árpád Schilling et Éva Zabezsinszkij ont écrit Jour de colère, « une histoire universelle et profondément humaine : une modeste personne a fait naïvement confiance à ses semblables et a cru que le monde était construit sur le respect, l’estime et l’amour ».
Elle s’appelle Erzsébet, mais on dit Erzsi. Avec son amie Niki, elle a installé une tente devant l’hôpital où elle exerce, pour attirer l’attention sur leurs mauvaises conditions de travail. Et ça marche. Le ministre vient en personne leur rendre hommage et les décorer, la mère d’Erzsi est heureuse, sa fille Evelin aussi, elle pourra peut-être partir à la mer avec sa classe. Mais passé ce bref instant de gloire, les choses s’enveniment. Erzsi est licenciée dès le lendemain par son directeur qui lui fait comprendre que tout cela n’est que du vent, que rien ne sera fait par le gouvernement et que : « Vous avez gagné une décoration, et nous, on a perdu le service de néonatalogie. » Et la suite ne fait qu’aggraver la situation. Le service est fermé. Sa mère lui reproche son attitude : « Les gens n’aiment pas ceux qui font du bruit parce que ça leur rappelle leur propre silence. » Elle découvre que son amie Niki est enceinte du directeur de l’hôpital avec qui elle entretient une relation depuis quatre ans. Les conseils sur ce qu’elle devrait faire pleuvent : changer de service, changer de métier, changer d’allure, changer de vie. Finalement elle trouve à faire le ménage dans un salon de beauté dont elle devient la maîtresse du directeur. Mais ce n’est pas fini. Sa mère, aveugle, a besoin d’une opération : « On vend l’appartement. La moitié servira pour l’opération, l’autre moitié pour une location ». Mais elle perd rapidement l’autre moitié en la confiant à un homme qui se révélera être un escroc. Et la chute continue jusqu’à ce que sa fille lui annonce que, pour sa part, elle va prendre une autre direction et se conformer à ce que la société attend d’elle : mari, il s’appelle Michel Normal, enfants, crédit, achat d’un appartement, et travail, travail, travail, « même le week-end, jour et nuit… » Finalement, « Erzsi se tranche la gorge en silence. »
Toute cette histoire, cette descente aux enfers pourrait n’être que sinistre et désespérée. Mais les auteurs ont choisi de faire interpréter tous les personnages qui gravitent autour de Erzsi et de sa famille par deux anges, deux anges exterminateurs, cyniques, cruels, et dont la mission sur terre semble être de dévoiler toutes les turpitudes d’une société. Erzsi devient alors le symbole désespéré d’une résistance broyée jusqu’à la mort par un système auquel tout le monde participe. Un système dans lequel chacun tente de sauver sa peau. Cette présence des anges crée une mise à distance qui transforme l’accumulation de catastrophes en jeu de massacre. L’écriture est enlevée, rapide, les situations s’enchaînent, se superposent parfois, montrant une Erzsi débordée, voulant bien faire ce qu’elle a à faire, mais aussi des anges efficaces, prêts à torturer quelqu’un d’autre et qui s’amusent vraiment à jouer tous ces personnages. Nous sommes en Hongrie, mais cela pourrait se passer ailleurs. Cela se passe ailleurs.
Patrick Gay-Bellile
Jour de colère
Árpád Schilling et Éva Zabezsinszkij
Traduit du hongrois par Petra Korösi
L’Espace d’un instant, 84 pages, 13 €
Théâtre Le combat d’une activiste
juillet 2023 | Le Matricule des Anges n°245
| par
Patrick Gay Bellile
Deux anges provoquent et accompagnent la descente aux enfers d’une infirmière.
Un livre
Le combat d’une activiste
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°245
, juillet 2023.