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Traduction Charles Bonnot *

juillet 2023 | Le Matricule des Anges n°245

Fuck Up, d’Arthur Nersesian

Tu aurais le temps pour une trad à rendre en février ? Je crois que le texte pourrait te plaire.
– Je devrais pouvoir m’organiser, c’est quoi ?
– Ça s’appelle The Fuck-Up, d’Arthur Nersesian. C’est sorti en 1991, c’était son premier roman, il a été racheté par MTV Books puis il a un peu disparu des radars, il est quasiment introuvable aujourd’hui. Ça se passe à New York dans les années 80, c’est bien déglingué et assez mélancolique, tu le lis et tu me diras ce que tu en penses ? »
Je l’ai lu, j’ai dit ce que j’en pensais et je me suis organisé. Pourquoi ?
Parce que bien évidemment Émilie Lassus, éditrice aux aguets, avait vu juste et qu’il était hors de question que je laisse passer ce roman dans lequel un jeune narrateur anonyme, pas épargné par les galères, raconte son errance entre East Village et Brooklyn. Parce que dès la scène d’ouverture, où notre héros tente de traverser la Cinquième Avenue à l’heure de pointe, on retrouve un brin de Gatsby – dont j’avais eu, expérience douloureuse mais fondatrice, un extrait à traduire au premier jour de mes études – et beaucoup de Holden Caulfield, l’adolescent paumé de L’Attrape-cœurs, classique que j’avais tant aimé à cet âge.
Parce que traduire ce roman mettant en scène un aspirant écrivain « venu à New York pour les cafards, la saleté, les agressions, les odeurs nauséabondes, la violence et… ah oui, les loyers astronomiques, et la surpopulation, sans oublier les hivers sibériens et les étés caniculaires », c’est fouiller dans ses souvenirs de films et de séries comme on retrouve son chemin dans une ville fantasmée.
La vue du pont de Brooklyn de Manhattan, le campus et les dortoirs de Fame, les inquiétants lofts du SoHo d’After Hours, les cinémas glauques de Taxi Driver, les bars sombres et les trottoirs sordides de The Deuce, les boîtes de nuit de La Nuit nous appartient, les tradeurs triomphants et si fragiles du Bûcher des vanités… Difficile de dire quelle part de ces images demeure dans la traduction, guère plus qu’un filigrane sans doute, mais elles m’ont servi à incarner le texte, à la lecture et lors de l’écriture de la version française, comme autant de photos punaisées sur un pêle-mêle, quelque part dans l’atelier.
En bon roman d’apprentissage, Fuck Up est une déambulation marquée par une succession de rencontres, chacune offrant au héros l’occasion de gratter un lit, un repas, un boulot, un peu de drogue ou un coup d’un soir, quand ce n’est pas une leçon sur le déclin de sa génération, un coup de couteau ou un tabassage en bonne et due forme. Une galerie de portraits qui ressemble étrangement à celle que fait Renaud dans « Marche à l’ombre » – du baba cool cradoque à l’intellectuel en loden, en passant par la petite bourgeoise bêcheuse, le punk qui n’avait pas oublié d’être moche ou le petit Rocky barjot – et à laquelle s’ajoute, New York oblige, des étudiants faussement ingénus, des éditeurs prétentieux, des dealers frigorifiés, des réalisateurs démiurgiques vaguement européens et des artistes ambitieuses. Autant de caractères d’une époque auxquels Arthur Nersesian, dont aucun des livres n’avait été traduit en français, règle leur compte avec humour et ce qu’il faut de cruauté, sans jamais épargner son héros combinard. Pour le traducteur, un ensemble de voix à saisir et à rendre en français avec l’enthousiasme d’un enfant devant une malle à déguisements.
Il me faut ici confesser une tendresse toute particulière pour Angela – conquête de Helmsley, brillant universitaire et meilleur ami du protagoniste – ainsi qu’une légère inquiétude au moment de lui donner une voix française. Angela est « une mama hommasse d’au moins 45 ans  » avec une descente vertigineuse, une poigne d’acier, un goût certain pour la bagarre et les courses hippiques que le narrateur décrit sans jamais masquer la détestation qu’il lui porte. C’est un personnage drôle, gouailleur, apparemment idiot mais qui se révèle au fil du texte, c’est donc une voix à charger, tout en lui laissant la place de dévoiler une plus grande complexité. S’il m’est forcément difficile de juger du résultat global, je me contenterai d’évoquer la joie simple que j’ai eue à retrouver et employer des expressions telles que « de quoi ça cause », « tu charries », « remettre d’équerre », « ‘achement » ou encore « sac à merde ». Car vivre avec un texte que l’on traduit, c’est aussi finir par se dire qu’un personnage serait heureux de découvrir qu’il peut parler ainsi.
Reflet de la décennie du triomphe de Wall Street, Fuck Up laisse ainsi la part belle à un certain cynisme dans la plupart des relations, où tout peut être acheté et vendu en fonction de l’opportunité du moment et d’un système de cotation bien cruel. Sa dureté est aussi celle de la chute du héros, d’une exploration clinique de sa douleur physique et de la fragilité de sa place dans une société de dupes. Car l’abîme n’est jamais loin quand on traîne au pied des gratte-ciel, dans les dédales du métro, les bas-fonds des quartiers qui tardent à se gentrifier et dans les divers interstices d’une ville qui se digère et se réinvente sans cesse.
Pour autant, Fuck Up n’a pas la seule rudesse d’autres romans de son temps car il est paradoxalement éclairé par la médiocrité de son héros, son nihilisme bravache, la mélancolie profonde et l’humour défiant de celui qui va plus d’une fois, vainqueur ou vaincu, traverser le pont de Brooklyn.

* A traduit entre autres Douglas Stuart, Jakob Guanzon, Steve Mosby. Fuck Up (332 pages, 22 ) paraît le 16 août aux éditions La Croisée.

Charles Bonnot *
Le Matricule des Anges n°245 , juillet 2023.
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