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Domaine français Une parole explosée de silence

juillet 2023 | Le Matricule des Anges n°245 | par Richard Blin

Quand le mal d’amour devient un état d’écriture, la parole littéraire ouvre en son sein une sorte de vide où la vérité s’éprouve sur le mode du vertige, et rend le texte impossible. Un petit chef-d’œuvre signé Alain Roussel.

Le Texte impossible

Récit des circonstances dans lesquelles un corps et l’écriture se retrouvent siamoisement soudés, Le Texte impossible a été écrit directement sur stencil, en 1975, avant d’être publié de façon très confidentielle en 1980. Il fut fort goûté par Roland Barthes, René Nelli, Ghérasim Luca, Jacques Abeille. Il reparaît aujourd’hui dans une version remaniée, augmentée et encadrée par cinq textes-poèmes de nature autobiographique qui en éclairent le contexte. Son auteur, Alain Roussel, né en 1948, a écrit depuis de nombreuses proses poétiques – s’attachant à dire au mieux la présence, l’absence, l’attente – ainsi que des récits et deux romans.
Écrit à Arles où il venait d’arriver, Le Texte impossible est le fruit d’un violent tumulte intérieur, de quelque chose d’obscur et de compulsif qui lui enjoignait d’écrire et qui générait en lui d’inquiétants tourbillons de mots. « Qu’il y ait dans les mots une volonté d’égarement qui cherche à me perdre, c’est là une obsession dont je ne peux me défaire. » Et Roussel de se demander qui parle à travers lui, ce qu’il en est de ce « presque rien » d’où paraissent jaillir les mots ? Il lui semble que ce qu’il écrit se donne à lire à partir d’une troublante notion de vide. « Qu’on le nomme rien, bouche ou néant, il règne sur mon discours. » Une sorte de goût du rien dont il connaît l’origine, lui qui « préfère à toute littérature ces courts textes caractéristiques de la manière “zen” ». Et se souvenant de Lao Tseu – « Celui qui sait ne parle pas / Celui qui parle ne sait pas » – il comprend qu’il écrit parce qu’il n’a rien à dire. Nous sommes page 18 et ce constat définit la modalité d’écriture de ce qui va s’ensuivre, fixe les traits d’une expérience d’écriture, où le sujet, ébranlé, décentré, est joué dans tous les sens du terme.
Et ce parce que les mots sont privés de vie, ne donnent rien qui soit présent. Ils apparaissent, délestés de toute souveraineté, dans l’impouvoir constitutif de la parole littéraire. « Le réel se rit de nos discours. » Le texte ne peut dès lors se développer que comme déception, expérience intérieure qui absorberait sans réserve tout ce que l’auteur voit et vit en errant dans les rues d’Arles ou en buvant une bière dans un café. « Sortant dans la rue j’ai continué d’écrire mon texte. J’ai mis partout les mots à la place des choses. Cette femme que j’ai croisée, aussi réelle qu’elle fût, je l’ai revêtue d’écriture. J’ai tissé autour d’elle une parure qui ajoutait à sa beauté l’éclat du verbe. » Et le texte alors de devenir une lettre d’amour et de révolte à une femme qu’il va réinventer mais qui est aussi celle avec laquelle il vit un amour impossible, une femme qui s’est réfugiée dans un « grand mutisme blanc ».
Que peut la parole quand l’amour se meurt ? Quand sous le regard érotisé de l’auteur le plus futile événement ou le moindre objet déploie tout un théâtre muet, quand le sac à main entrouvert d’une femme attablée près de lui peut se transformer en bouche qui murmure, en bateau échoué ou en sexe ouvert. « On part de rien. On ne sait pas où ça mène l’écriture. On n’a rien à dire mais on parle quand même. » Une femme, « ses yeux, sa main, son sac, son bras plié, sa chevelure, son genou, sa jupe, sa cuisse, chavirer, c’est fabuleux, écume, vertige (…), immense vague verbale où je me noie… » La réalité s’ordonne autour d’un vide, d’un centre absent, d’une déchirure qui décide d’un rapport au monde où son vide à lui et son hors lieu à elle sont les deux faces d’une même expérience de deuil et de désir. « Je te cherche au fil d’une écriture qui ne peut en définitive que consacrer l’impossibilité de t’atteindre. » D’où la puissance envoûtante d’un texte qui est manifestation d’une perte et d’un secret, confrontation à l’irrémédiable tout autant qu’à ce qui fait rimer déchirure et jouissance. « Perdre pied, couler à pic, naître, mourir et renaître dans la jouissance et faire grincer des clés inconnues dans les serrures du texte pour ouvrir les portes de la vie. »
Mais on a beau vouloir prolonger la sorcellerie du jouir en cette autre chair qu’est le verbe, la page n’est pas la peau. D’où une souffrance sans issue, et le texte impossible de se diluer lentement dans le silence, « dans l’innommable où tu disparais ». Tombeau autour de rien, Le Texte impossible dit la quête d’une parole qui trouverait la jointure entre la poésie et la vie, qui surmonterait la hantise de tout ce qui reste hors de prise. Un livre qui témoigne de l’irreprésentable tout en suggérant qu’il n’est de possibilité que l’impossible.

Richard Blin

Le Texte impossible
Alain Roussel
Arfuyen, 132 pages, 15

Une parole explosée de silence Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°245 , juillet 2023.
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