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Poésie Le phrasé d’une écriture hantée

octobre 2023 | Le Matricule des Anges n°247 | par Richard Blin

D’une voix qui perturbe et fascine, Sandra Moussempès poursuit sa quête d’elle-même parmi images filmiques, doubles et présences fantomatiques.

Fréquence Mulholland

J’ai appris que, juste en dessous de la surface, il y a un autre monde et encore d’autres mondes en creusant plus profond. » Cette phrase de David Lynch, placée en exergue du nouveau livre de Sandra Moussempès, annonce une écriture en apnée, des plongées sous l’effervescence des apparences, dans les zones obscures de l’éros et les cryptes de la mémoire. Conçu sous la forme d’un long poème éclaté en douze séquences, il s’inscrit dans les marges et entre les images d’un film du même David Lynch, Mulholland Drive, sorti en 2001 et élu, par les Cahiers du cinéma, meilleur film de la décennie 2000. Il raconte dans un entremêlement de rêve et de réalité – puisqu’elles peuvent se réveiller là où elles ne se sont jamais endormies – l’histoire des désirs et des destins croisés de deux femmes, Betty et Rita.
Un matériau filmique sur lequel Sandra Moussempès pose un regard poétique et rebelle, un regard qui troue la surface, explore les images latentes, révèle le non-dit ou l’envers de l’attendu. Poursuivant son questionnement obsessionnel du féminin, détournant ses stéréotypes – « Ne pas se taire entraînant la déflagration du poème » –, elle s’attache à la face cachée des codes mentaux qui nous entourent ou nous gouvernent, tout en s’interrogeant sur sa propre identité. « D’autres femmes te ressemblent / Tentées par la marginalité de la grammaire / Je serai assise dans un camping-car mental / À Hollywood ou sur la Riviera pathétique / Les nez refaits – sourires figés / Laissez-moi les envoûter, je dois savoir / Si l’une d’elles est moi – »
S’identifiant à des héroïnes filmiques ou à des figures féminines perçues comme jumelles, sosies ou doublures – « Je vous brosse mon portrait : vous êtes moi en plus / évasive, vous devenez la partie du manque / Sangsue à bretelles dépareillées » – elle ramène à la surface les messages plus ou moins déchiffrables d’archives sensorielles comme le refoulé d’une intimité secrète. Ces mouvements transférentiels deviennent la matière du poème, enclenchent une petite musique intérieure que scande un dispositif textuel qui casse les codes, passe par un montage explosif de fragments d’intensité qui se télescopent, mettent en tension la chair et la lettre, et jouent de l’anamorphose. Finalement Sandra Moussempès écrit comme si elle filmait le labyrinthe de ses perceptions ou explorait un besoin d’absolus jamais expérimentés.
La lire, c’est entrer dans un univers poétique qui tient d’une forme de magie scripturale dotée d’un pouvoir de transgression lui permettant de franchir seuils, passages et sas donnant accès à un espace-temps modifié où des passés disparates se chevauchent et s’entrelacent, jouent avec le non-avenu, et où le poème – « Un poème est une façon de me laisser aller à ce qui s’échappe » – devient aussi une boîte enregistreuse de voix qui font leur cinéma. Des voix venues de dialogues décontextualisés, d’échanges intimes ou même d’outre-tombe, des bribes de « vocalités scénarisées » qui souvent illustrent des rapports de force ou de soumission, instaurent un climat d’étrangeté, déstabilisent l’instance narrative, à l’image d’une réalité et d’une identité devenues elles-mêmes instables, minées qu’elles sont par les faux-semblants, le retour d’expériences traumatiques et les conséquences du deuil inachevé, inachevable, de la disparition du père. « En 1981 il trépasse brutalement, les entités se délitent, plus rien / ne pourra être dit, les proies sont silencieuses jusqu’à se figer ».
Des réalités qui font de Sandra Moussempès un musée vivant où des fantômes circulent en silence, et de la plupart de ses poèmes une orchestration de mouvements de revenance et de survivance qui sont autant de manifestations d’une mémoire inconsciente, de ce qui insiste d’un passé qui ne passe pas, ne cesse de resurgir avec tout ce qu’il contient d’inapaisé et d’inapaisable. Une spectralité qui trouve échos et prolongements dans d’étranges énoncés – parce que « s’exprimer dans une langue spectrale / à souhait, faite d’esprits délabrés retrouvés dans les / greniers de châteaux ne donne toujours pas les clés / de l’énigme » – et où l’on retrouve le magnétisme de Cassandre (Cassandre à bout portant, Flammarion, 2021) ainsi que la troublante beauté d’une écriture habitée par les hantises d’un ange déchu parti à la recherche de lui-même dans un monde où « les pensées jaillissent de chaque côté de la robe / Comme des osselets ricochant / Sur une mer noire – dont on ne perçoit pas le corail ». Ce qui est une façon de dire sans dire tout ce qui se tait et se terre.

Richard Blin

Fréquence Mulholland
Sandra Moussempès
MF, 136 pages, 18

Le phrasé d’une écriture hantée Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°247 , octobre 2023.
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