Une hypothèse de Pierre Louÿs prétend que Corneille aurait pu écrire sur la fin de sa vie, des comédies attribuées au jeune Molière. Vraie ou pas, la thèse est tentante. Frédéric Lenormand l’emprunte avec gourmandise, en même temps qu’il vole la plume de Thomas Corneille, le frère écrivain d’un Pierre plus talentueux.
Dans l’ombre de son aîné, aimé et envié, et sous couvert d’une fiction qui simule le récit biographique, Thomas le narrateur nous entraîne au milieu du XVIlème siècle. Le livre s’engage, en 1658, alors que Pierre Corneille, élu en 1647 à la toute récente Académie française, a déjà produit ses pièces les plus célèbres. A 52 ans, il lui reste 26 ans à vivre le lent essoufflement du genre qu’il a renouvelé et l’irruption d’une tragédie régénérée sous la plume de Racine.
Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, a 36 ans. Après plus d’une décennie de tournées en province, deux pièces écrites, le directeur de troupe monte à Paris. Devant lui s’ouvrent quinze années de succès à la cour de Louis XIV et le triomphe d’un genre où il excelle : la comédie.
Le roman dépeint un Pierre Corneille qui, malmené par une famille exigeante et bruyante (« petit papa chéri, du tissu pour ma nouvelle robe ! ») n’obtient plus les faveurs d’une inspiration tragique.
Mais Thomas observe le dramaturge au quotidien. De plus en plus souvent, Pierre se rit secrètement des travers de ses proches et de ses contemporains. Le médecin de sa femme, sa fille précieuse, sa fille bigote, les servants, marchands, séducteurs…
Avec précision et légèreté, Frédéric Lenormand décrit leur quotidien incertain, agité par les fièvres jansénistes et la peur de la variole, où la belle société s’essouffle à suivre les modes les plus farfelues, tandis que les bourgeois prospèrent et veillent. La mort est à la porte, le rire s’échappe par la fenêtre. Dans ce monde bouillonnant, l’habilete de Thomas va favoriser la rencontre entre le vieux Corneille et le jeune Molière. Le comédien cherche des textes. Le dramaturge n’a pas confiance et que bien peu d’estime pour ce « génie du mime ». Mais par leur rencontre arrangée, puis leur collaboration laborieuse, le romancier s’offre une perspective exceptionnelle : entrer au cœur du processus de création d’un écrivain. Effleurer ses doutes, ses prétentions, les choses de sa vie. « Ce qui compte, c’est ce qui se passe entre deux séances ». clame Pierre Corneille lorsque son frère lui reproche de ne pas s’atteler à l’écriture d’une pièce. Molière renchérit lorsque le dramaturgue se plaint de « la faillite théâtrale » : s’il ne reste rien, il reste « la vie vécue ». « Ecrivez donc la vie de Pierre Corneille ! »
Apostrophe magistrale d’un roman qui s’attache à raconter la vie d’un Corneille mal connu, où drame et drôlerie composent le vivier de chefs-d’œuvre théatraux. Des classiques.
A l’instar des mises en scènes qui désamidonnent les costumes sans brimer la facture des textes, L’ami du genre humain dépoussière allègrement des statues sans leur ôter leur lustre.
Comique et tragique, le roman de Frédéric Lenormand réconcilie deux genres pour en chanter un autre, à travers les affres d’un écrivain : « le genre humain »
L’Ami du genre humain
Frédéric Lenormand
Robert Laffont
371 pages, 139 FF
Domaine français Corneille décorné
avril 1993 | Le Matricule des Anges n°4
| par
Florence Roux
Molière est drôle, aimé, Corneille plus rébarbatif, moins connu. Et si tout cela relevait d’un mensonge arrangé ? Dans son dernier roman, Fréderic Lenormand prend plaisir à brouiller les pistes.
Un livre
Corneille décorné
Par
Florence Roux
Le Matricule des Anges n°4
, avril 1993.