« La poésie était, et demeure, mon point de départ en tant qu’auteur. C’est souvent le »lieu« de ma consolation et parfois le gage absolu de mon purgatoire. Il est très rarement aisé d’être vivant. La poésie peut souvent embrasser et la joie et le désespoir que l’on éprouve quand on croit que vivre c’est savoir, que savoir c’est dire, que dire c’est se faire entendre et que se faire entendre est impossible. Et pourtant… Je voulais simplement savoir s’il était possible d’écrire des pièces qui »fonctionneraient« comme des poèmes » nous livre Daniel Keene dans la préface de ces Pièces courtes.
Ces pièces-poèmes sont des évidences. Elles touchent le lecteur au plus intime et ceci, avec une économie de moyens incroyable. Les mots de Daniel Keene proviennent à la fois du creux, du vide et de l’essentiel. Ils ont cette qualité de ne jamais rien asséner. D’être aussi puissants et en même temps aussi fugaces qu’une vie qui s’écoule. D’en retenir la force et la fragilité. La parole naît du silence. Les nombreuses « pauses » dans le texte font office de ponctuation, cette dernière ayant disparu. De même, le plus souvent, les répliques ne sont plus attribuées à tel ou tel personnage. Encore une fois, l’évidence est telle que ce n’est pas gênant pour la lecture.
Les personnages de ces Pièces courtes ne sont pas des gagnants. Leur univers peut paraître sombre et pourtant chaque personnage lutte tellement pour sa dignité, pour essayer de se dire, que le lecteur retient plutôt cette énergie vitale. Les histoires racontées sont simples, mais chacune porte son poids de douleur… Ainsi, dans Deux Tibias, un homme, sans domicile fixe, trouve un jour un bébé encore vivant dans une poubelle. Le nouveau-né ne survivra pas, l’homme cherche alors comment l’enterrer pour lui offrir un peu de respect. Dans La Pluie, une vieille femme a recueilli les dernières affaires de déportés. Sa vie entière passe à conserver le plus précieusement possible ces objets dans un long combat contre la poussière de l’oubli… Chaque histoire est prenante. Les personnages essaient tous, selon Daniel Keene, « de porter de la lumière dans un panier et de faire entrer un infini de douleur dans un dé à coudre ».
La langue de Daniel Keene est puissante, essentielle, immédiate. Pour l’écrivain, les mots doivent être en mesure de charrier leur sens, leur émotion et leur intention sur-le-champ. Tout en gardant leur part d’ambiguïté.
Cette recherche de sobriété et d’épure fait monter en puissance tout le côté émotionnel de l’oeuvre. Le lecteur est pris au ventre. Dans notre monde de bruits et de dispersements, l’écriture de Daniel Keene est salutaire, elle nous recentre. C’est comme se trouver face à son propre aborigène.
Il faut également souligner le remarquable travail de traduction de Séverine Magois et saluer son obstination à faire découvrir cet auteur australien, né en 1955 à Melbourne. Parallèlement à ces traductions, les pièces de Keene sont de plus en plus montées en France et en Belgique. Une double chance de pouvoir découvrir cet auteur.
Pièces courtes
Daniel Keene
Traduit de l’anglais (australien)
par Séverine Magois
Éditions Théâtrales
240 pages, 18 € (118 FF)
Théâtre L’âme sensible
décembre 2001 | Le Matricule des Anges n°37
| par
Laurence Cazaux
Quatorze pièces courtes sur la quarantaine écrite par Daniel Keene sont publiées. Quatorze condensés de vie. De toute beauté. À quand les vingt-six autres ?.
Un livre
L’âme sensible
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°37
, décembre 2001.