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Domaine étranger Ils me traitent bien

septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40 | par Gilles Magniont

Nick Tosches ramène à la lumière le boxeur Sonny Liston, esclave de la pègre et insoupçonnable « adversaire du Rêve américain ». Le pugilat est ici à l’extérieur du ring.


« Ils me traitent bien. J’ai de l’argent à la banque, je boxe régulièrement. J’aime boxer. C’est la seule chose que je sais faire. »
Ainsi parlait Charles Liston dit Sonny, petit-fils d’esclaves, fils de fermiers nés sur une plantation de coton de l’Arkansas.
Si le titre, Night Train, évoque l’air sur lequel s’entraînait Sonny le boxeur, c’est que cette composition, puissante, triviale et tragique, colle à la peau de celui qui fut, dans sa tendre jeunesse, appelé au champ de coton avant de devenir en 1962 le champion du monde des poids lourds et l’esclave de la pègre. Un devenir dans la continuité, voilà la destinée de ceux qui, même lorsqu’ils connaissent la gloire, ne quittent jamais foncièrement leur condition : c’est ce que Liston a compris, et d’une certaine manière accepté en connaissance de cause, lui dont Nick Tosches écrit qu’il « savait dans son sang ce que peu admettaient : qu’aucun homme n’était son propre maître », à l’inverse d’un Mohammed Ali pris dans les rets de son image de porte-parole de la dignité noire retrouvée. L’intelligence de Night Train consiste précisément à redresser sans fracas, au travers d’une biographie d’un genre singulier, une vérité mise à terre par l’histoire officielle issue des médias, complaisants pourvoyeurs de monstres et d’idoles. Si les circonstances de la mort de Liston demeurent méconnues, il n’y a d’après Tosches aucun doute concernant l’assassinat médiatique dont il a fait l’objet. La presse américaine a d’abord injecté, dans les pores d’un public prédisposé, la haine et la fascination à l’égard d’un homme diabolisé, « terriblement fort, terriblement méchant et terriblement noir », pour le faire ensuite progressivement tomber dans l’oubli dès sa défaite contre Ali.
L’auteur méconnaît parfaitement le ton magistral et l’indignation morale propres à une intelligentsia en mal de modèles. Il n’oppose pas, par exemple, une idole à une autre -Liston contre Ali-, mais suggère, en une monstration sobre, dépouillée de psychologie comme de toute théorie sur la boxe, qu’aucune espèce d’intégrité morale ne saurait lutter contre les formes les plus efficaces du pouvoir. La pègre, éclatée en maffias locales, hérite des méthodes de l’ancien pouvoir colonial en s’appropriant la puissance physique d’un Liston, de la même façon qu’était exploitée la force de travail des esclaves noirs. Mais plus spécialisée et donc plus redoutable, elle n’achète que les forces exceptionnelles.
Conçu à partir d’une enquête de police et de témoignages de proches, Night Train n’est pas tant le récit d’une vie singulière que l’attention portée à une destinée qui pourrait finalement avoir été celle de n’importe quel Noir américain doué d’une force prodigieuse et d’un tour de poings surhumain. Le portrait de Liston tient de l’anatomie sociologique comme de l’essai politique : son histoire est d’abord celle d’un homme dépossédé de son existence entière, depuis sa naissance administrativement obscure jusqu’à son aliénation à la maffia. Pas plus dans la gloire que dans la misère, Liston ne choisit : « Sonny avait perdu le fil, il ne savait plus qui détenait quoi sur sa personne, à qui appartenaient les mains avides qui intervenaient sur son argent et sa liberté et quel en était le nombre. » Tosches accomplit un tour de force en faisant naître la singularité biographique de Liston d’un faisceau de déterminismes où la valeur marchande ramène les différences à l’égal : « Allez-y, choisissez un passé, n’importe lequel : ils revenaient tous au même pour lui : bourbiers sablonneux et ruelles, salles de bar et cellules de prison, méchants gangsters de haut vol bourrés aux as et ramasseurs de coton courbés en deux. Tous les mêmes. »
On n’en saura pas plus sur la boxe proprement dite en lisant ce livre, d’où sont absentes toute considération technique, toute remarque d’expert. Comme si le véritable pugilat était à l’extérieur du ring, dans un ailleurs interdit à ceux qui vendaient leur force ou leur maestria aux nouveaux maquignons.

Night Train
Nick Tosches
Traduit de l’américain par Julia Donner
Rivages
253 pages, 19,95

Ils me traitent bien Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°40 , septembre 2002.