La rédaction Gilles Magniont
Articles
Les filles de l'intérieur
« La vie de travesti peut être la plus heureuse qui soit » : la preuve par l’image et par la Casa Susanna, rêve fragile d’une existence mise en jolis plis.
Tout commence en 2004, avec un marché aux puces new-yorkais où deux antiquaires découvrent un carton de 340 clichés : comme des photos de famille dénuées d’ambition esthétique, portraits frontaux et appliqués scandant un quotidien sage et épanoui. Rien d’extraordinaire, à ceci près que ces jours heureux s’incarnent par des hommes travestis en femme. Dans le carton, une carte de visite au nom de Susanna Valenti permet de mener l’enquête : morte en 1996, Susanna était pour l’état-civil Tito Arriagada, directeur de programme pour la radio gouvernementale Voice America. Voilà pour l’existence...
Ne pas demander la lune
On peut hésiter à embarquer sur La Mer de la tranquillité, récit d’anticipation sophistiqué mais dépourvu d’invention.
La Canadienne Emily St. John Mandel s’est d’abord illustrée par des sortes de romans noirs, histoires dans le brouillard, personnages qui se croisent mystérieusement, questionnements existentiels plus que policiers, entre enquête et dérive ; puis dans un autre genre, mais selon une manière analogue, par Station Eleven (2014), best-seller bardé de prix et adapté en série, où l’on suivait...
Un livre
Abbé de Rancé. Relations de la mort de quelques religieux de l’abbaye de la Trappe
de
Jean-Maurice de Montremy
L’étrange légion
Relations de la mort de quelques religieux de l’abbaye de la Trappe : une cascade de prépositions, et au bout la fosse où sont jetés ceux qui rejoignirent l’abbé de Rancé dans ce monastère qu’il avait réformé avec une effroyable énergie. Véritables rapports, ces « relations » instruisent de leurs agonies exemplaires ; Rancé en assura la circulation (quatre éditions de son vivant), donnant...
Traits sur la ville
Récit du premier festival du dessin d’Arles, où se sont croisés expositions, rencontres, spectacles et films. De quoi déployer généreusement tous les langages des dessinateurs, et mettre leurs figures à notre portée.
On ne s’en aperçoit que peu à peu, au fil des expositions : les visiteurs regardent les dessins de très près, ne tournent pas autour avec déférence, ne se tiennent pas à distance respectueuse. Bien au contraire, les voilà qui quasiment collent leur nez aux œuvres exposées, froncent le sourcil, ajustent leurs lunettes et puis montrent du doigt un détail à leur voisin, comme lorsqu’il...
Couleur de sang
Autour d’Horace McCoy et de ses Romans noirs, un épais volume donne à voir la brutalité du système social et le détraquement des systèmes nerveux.
Sur un exemplaire de Gatsby le magnifique, Fitzgerald – né quelques mois avant McCoy – avait mirlitonné cette dédicace : « De Scott Fitzgerald/(Un prophète du malheur)/ Pour Horace McCoy/ (Pas un héraut du bonheur) ». Pour Horace, ce fut en tout cas, entre 1897 et 1955, une vie américaine telle qu’on se la figure, et plus encore : enfant misérable, fringales d’autodidacte, boulots variés...
À la pointe – chronique
Freestyle
Matin du 26 décembre, pluie battante, sur le parking de Monsieur Meuble (le magasin). Mal redescendu de son réveillon, Patrick tente de vendre une nouvelle idée graphique au rédac chef (« La pratique sexuelle rigolote du mois : on commencerait par la sodomimolette »), lequel ne prend pas même la peine de répondre (du coup, Patrick menace de se consacrer toujours au même écrivain), absorbé qu’il est à guetter l’ouverture du magasin, tout en parcourant compulsivement le dossier « DÉCOS INSPIRANTES » qu’il a lentement constitué depuis des mois. La raison de cette agitation ?...
Cher collègue
Chaque rentrée c’est pareil. Et que six mois de vacances ça m’a pas suffi. Et que je suis mal payé. Allons donc, le plus beau métier du monde ! Et tout le monde se met en quatre pour te faciliter la tâche. Par exemple la rédaction de France Info qui, ce 4 septembre, encense Western de Maria Pourchet, « fabuleux roman d’amour à l’ère post #MeToo ». Et alors ? Et alors si tu tenais tes fiches à...
Mot compte triple
Il fallait s’y attendre : cette chronique suscite un abondant courrier. Impossible d’y répondre autant qu’on le voudrait, même si certains messages méritent le détour – ainsi celui de Christian T., fringant retraité de la Haute-Garonne : « La page À la pointe est tout bonnement géniale (…)1 S’il m’est toutefois permis d’exprimer un léger regret, c’est que la bienveillante lumière de vos...
Médiatocs – chronique
Génération écran plat
Mazarine Pingeot, fille de et future mère, met sa vie en forme.Puis vend sa télé.
Je reste enfermée dans la maison. Ma chienne préfère le sommeil, je ne la comprends pas » : trois propositions, quelques mots très simples, Mazarine effleure le mystère du règne animal. Puis, dans la même page, elle évoque le chat, le cheval, ou encore la grenouille. Mais comme cette dernière rappelle Kermitterand, la future mère a ce cri déchirant : « Peut-être vendrons-nous la télé quand tu arriveras. »
Certains diront qu’il est bien des gens qui se débarrassent de leur télé, mais peu qui la vendent (sauf nécessité extrême), et que Mazarine n’est donc pas très généreuse, un peu petite...
Avec la langue – chronique
Un peu plus près des étoiles
Avec vingt ans d’avance, la troupe Gold avait trouvé la formule de l’art contemporain.
La trentaine détendue fait danser ses enfants au rythme des djembés, les chapelles ruissellent de mises en voix, Mathilde Monnier reprend du rosé : voici venue la saison du spectacle vivant. Mais les joies du live recouvrent le verso non moins solaire des festivals : le Programme, prose dédaignée comme la servante qui n’aurait d’autre rôle que de nous mener à sa maîtresse, la représentation. Or c’est dès les rives du rédactionnel que le désir d’art peut être comblé, en témoignent les deux cents grammes d’Avignon 2008, œuvre en soi dès son premier paragraphe. Valérie Dréville « ne veut pas...
Le patois c’est moi
L’époque a trouvé son mot d’ordre : sous les biloutes, la France !.
Puisque cette œuvre ne montre presque rien du Nord/Pas-de-Calais (sinon quelques briques, deux trois toiles cirées, un bout de littoral), puisqu’en masse les spectateurs en reviennent pourtant remplis comme d’une savoureuse démonstration, rendons-nous à l’évidence du Verbe : c’est la part de dialogue qui fait à elle seule toute la valeur anthropologique de Bienvenue chez les Ch’tis, dont...
Cela pourrait choquer
Quelques nuages de censure, au ciel menaçant des bienséances.
Au début du XXIe siècle : La Nouvelle Star, majesté terrible du jury, et que dire de la salle (prononcer à l’araméenne : pavillon Baal-TÂR), quand c’est au tour du dénommé Ycare, éventuellement de sang cimmérien, de faire ses preuves sur Le Chanteur de Daniel Balavoine. Lio et son tribunal diront parfait, il faut le garder, mais ne souffleront mot d’un alexandrin altéré. Balavoine en son...
Courrier du lecteur – chronique
L'homme qui aimait les livres
Coups d’œil sur « Le Dictionnaire Truffaut », où les romans se font devant et derrière la caméra.
« J’espère que vous garderez longtemps cette gravité du regard et cette façon simple et un peu malheureuse de vous exprimer », écrivait joliment Genet au jeune Truffaut. À parcourir le Dictionnaire, on ne s’éloigne jamais longtemps de la chose littéraire. D’abord, parce que les films sont ici le plus souvent des adaptations, au gré des lectures éclectiques de l’autodidacte : David Goodis pour Tirez sur le pianiste, William Irish pour La Mariée était en noir, Henry James pour La Chambre...
Espèce de Hongrois !
« Tout est pur à ceux qui sont purs » (Saint Paul) : promenade guidée au doux pays de l’Injure.
Bougnoule/ Niakoué/ Raton/ Youpin/ Chinetoque/ Putain/ Maquereau/ Macaque/ Chien » pour ceux que n’aurait pas rassasiés cet Hymne à l’amour de Jacques Dutronc, les éditions 10/18 rééditent les travaux de Robert Edouard, publiés une première fois en 1966. Voilà un tombereau qui en impose, avec plus de huit cents pages découpés en deux volumes, le Dictionnaire des injures venant accompagné de...
Quelques déflagrations
Bang ! dévoile et commente toutes sortes d’images. Il y a les images des bandes dessinées, bien sûr, avec notamment l’interview d’Alan Moore, scénariste britannique assez génial qui donne de très politiques contours aux superhéros de papier (on lui doit entre autres les Watchmen et V pour Vendetta) ; mais aussi les images qui cherchent à échapper au livre et recherchent pour ce de nouveaux...