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Avec la langue La langue et les saints

juin 2005 | Le Matricule des Anges n°64 | par Gilles Magniont

Le français ne serait plus que l’ombre de lui-même. Une ombre envahissante ?.

Deux ouvrages récemment parus : La Littérature prend le maquis de Jean-Pierre Otte (Sens & Tonka) et Le Dernier Écrivain de Richard Millet (Fata Morgana) celui-là étant d’un intérêt comme d’un enjeu polémique bien supérieur, il n’est pas question ici de confondre les œuvres, mais bien plutôt de relever certaine parenté dans les vues. Otte comme Millet évoquent ainsi une raréfaction des « véritables » auteurs ; ils lisent dans cette raréfaction l’un des symptômes d’une époque malade. Le corps de la société et celui du discours sont atteints dans une même mesure : « La France est une phrase, et celle-ci est mourante » (Le Dernier Écrivain), la France est « orpheline de sa propre grandeur passée, en littérature comme en tout » (La Littérature prend le maquis). Les figures du maquisard et du mohican font alors acte de rupture, maintenant notamment un modèle de langue. Ce modèle semble être pour Otte celui d’un lexique disparu : il dit retrouver, dans la parole d’un ébéniste évoquant tour à tour vouge, gouge et égoïne, une richesse et une saveur dont n’ont plus cure les écrivains. Pour Millet, il faut sans doute aller voir du côté de la syntaxe : serait ignorée de nos contemporains la « grande phrase française », à savoir la période de Bossuet et les coupures de Voltaire, l’agencement complexe des subordonnées et l’imparfait du subjonctif. Quoi qu’il en soit, invention rabelaisienne ou tenue classique, c’est toujours de perte dont il s’agit.
Pareils discours peuvent rappeler les propos d’un Renaud Camus, qui stigmatise alternativement décadence de la société et dégénérescence de la langue. Autant dire qu’on est tenté de définir toutes ces positions comme réactionnaires, ce qui serait toutefois s’enfermer dans le piège d’une alternative. Plutôt que d’arborer un sourire progressiste, il peut être utile de repenser au très bel article de Jean-Yves Pouilloux, publié dans un numéro de la revue Critique (668-669, janvier-février 2003) consacré à Louis-René des Forêts. Cet article s’intitule « Faire une phrase », et la phrase en question est très longue : quatorze lignes à l’ouverture du recueil posthume de des Forêts Pas à pas jusqu’au dernier, quatorze lignes qui disent la quête d’une vie vers la vérité, en même temps que sa dégradation. Pouilloux présente la lecture de ces lignes comme un problème : d’un côté, il se laisse happer par les mouvements de cette phrase, sa « houle rhétorique » qui paraît peindre de si près la marche d’une existence ; d’un autre côté, le fantôme de la grande prose latine, les roueries de l’art oratoire, un air de performance technique lui font soupçonner que cette phrase est « trop précisément composée pour coïncider véritablement avec le désarroi qu’elle voudrait transcrire ». En fait, ne serait-elle pas « inconcernée par l’existence ? »
L’auteur de l’article ne sort pas de cette incertitude. À son exemple, formulons quelques questions ayant trait au problème de la forme et de son ostentation. Une langue, si belle soit-elle, peut-elle être dramatisée comme sujet même de la littérature ? Proust et Chateaubriand n’ignoraient certes pas les enjeux de leur style ; il n’est pas non plus dit qu’ils aient considéré que ce style devait en soi devenir l’objet d’une terreur sacrée. Nombre de proses semblent aujourd’hui parcourues d’un tel désir : quoiqu’agitant les spectres du passé, et se déclarant par là anachroniques, elles manifestent une prétention très contemporaine à se donner en spectacle crépusculaire. À vouloir ainsi représenter la langue, en constituer le tombeau toujours recommencé, n’opèrent-elles pas une sorte de chantage : comme si le lecteur devait, chaque fois qu’il ouvre un livre, payer son tribut à la Grande Littérature et à ses Martyres. La bibliothèque se fait somme de souffrances : on lit, on a fait sa part de travail, on ne relira pas forcément. Il n’est plus question de plaisir. Mais ce dernier terme est sans doute frivole comme une phrase de Barthes ou un slogan gauchiste. Il ne fait encore que ramener les contempteurs du présent à 68, annus horribilis : c’est là, disent-ils souvent, que le mal de la langue se déclara. Un jugement sur lequel écrivains en résistance et équipes ministérielles se rejoignent.

Gilles Magniont

La langue et les saints Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°64 , juin 2005.