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Domaine français Penser nue

juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65 | par Lise Beninca

Aïcha Liviana Messina est philosophe et modèle. À l’intersection de ces deux « non-professions », elle rédige un singulier « journal de pose ».

Poser me va si bien

Être modèle est pour Aïcha Liviana Messina chose naturelle. L’idée de le mettre en mots l’étant moins, elle lui a été suggérée par celui qu’on suppose être son « maître » en philosophie. À sa demande, elle jette sur le papier les impressions et les réflexions qui sont les siennes au cours des séances, dans le but de « chercher ce qu’est la pose, ce que pose la pose, sans aucun a priori ». Le texte se compose en vrac, notes classées par dates ou thèmes, une notion en appelant une autre. Celle du regard, par exemple, grâce auquel la pose « se fixe » « quand je pose, je dois avoir les yeux morts, rivés quelque part et nulle part », et la gêne dans celui des autres lorsqu’elle se déshabille. Cette nuance infime qui le modifie, au moment où de femme nue elle devient modèle. Question de posture, question de présence, qu’il faut saisir, et « tenir ». « Je t’ai dit que la pose effaçait la nudité. Je préfère dire qu’elle l’arrête ou la suspend, tout simplement en donnant au corps un lieu (…). Mais comme je te disais, il y a un moment où, par fatigue, le corps en est expulsé : il est sur l’arête de la nudité. » Elle s’exerce alors à glisser d’une pose à l’autre sans marquer de rupture, pour éviter ces instants où, « complètement exposée, maladroite », elle se sait « plus nue que modèle ».
Trouver son lieu, poser son corps, rester immobile tout en exprimant le mouvement : Aïcha Liviana Messina explore ces paradoxes au fil des séances, comme l’étrangeté d’être un « modèle vivant », figé dans l’immobilité. « Il faut oublier qu’on a la possibilité du mouvement, autrement on se sent prisonnier ; il faut la liberté dans l’inertie, donc. » Paradoxe aussi que cette présence-absence nécessaire dans la pose. Il ne s’agit pas simplement de monter sur l’estrade et de se tenir là. Le corps doit se rendre « lisible ». Mais que livre-t-il vraiment de lui ? Que saisit l’œuvre du modèle ? Est-ce « moi, mais avec une autre âme, ou sans âme ? » Et cette sensation d’être libérée au fur et à mesure que l’œuvre prend forme… Aïcha Liviana Messina ne masque pas les hésitations de sa réflexion, quitte à mendier parfois l’assentiment du « maître » auquel elle s’adresse, derrière lequel on reconnaît Jean-Luc Nancy (« Est-ce que je suis claire ? » ; « Explique-moi un peu »). Puisqu’elle avoue avoir toujours été mauvaise élève, elle ne craint pas de paraître brouillonne. Son texte se donne à l’état d’ébauche, en recherche, sans rien dissimuler des coups de gomme et des ratures. « Non, hier, je n’avais pas envie de me montrer nue. Alors j’ai contredit toutes les notes mises en chantier la veille et les semaines passées. » Les notes reviennent sur leurs pas, pour préciser ou infirmer. Cela fait partie de la grâce hésitante de ce livre qui jongle avec les concepts sans prétendre établir de théorie définitive, encore moins asséner un cours de philosophie. Il pose des repères, comme ceux que l’on place sur la feuille avant de se mettre à dessiner, pour saisir les proportions du modèle. Si Blanchot est souvent appelé à la barre, de nombreux autres auteurs sont convoqués (Deleuze, Derrida, Artaud ou Duras), cités entre parenthèses ou cachés derrière leurs initiales, simples portes entrebâillées pour le lecteur. Au fil des pages, une préoccupation nouvelle s’impose incidemment : celle de l’écriture. La philosophe se sent bientôt contrainte de veiller à ce que la prise de notes ne vienne pas brouiller le moment de la pose. Donnée inattendue à explorer : le plaisir du rituel de l’écriture, vers lequel cheminait sans le savoir cet exercice imposé. « Je rumine mes notes de pose pendant que je pose je suis tout entière traversée par l’écriture. Hier c’était clair : je pensais trop pour poser. »

Lise Beninca

Poser me va si bien
Aïcha Liviana Messina
P.O.L, 192 pages, 17

Penser nue Par Lise Beninca
Le Matricule des Anges n°65 , juillet 2005.