Occupé à rédiger la charte des droits européens, voilà qu’un organisme s’était autoproclamé Convention. Bien sûr, l’appellation n’est pas innocente. En l’empruntant, sans doute imaginait-on se parfumer aux effluves viriles d’anciennes assemblées populaires. Mais le peuple de 2005 n’aurait-il pas fait ses devoirs de mémoire, aurait-il le nez délicat, toujours est-il que la charte lui fut répulsive, à 55%. Tant et si bien que l’ambiance était nettement tendue, voire apocalyptiquement tendue, à en croire certains. Il suffisait d’entendre radio, télé et éditoriaux pour les entendre tonner : « violence du moment », « climat religieux », « crise crépusculaire », « émeute », « mini-révolution », « Intifada », ce sont quelques expressions parmi d’autres, utilisées par divers journalistes ou intervenants spécialisés, en les journées post-référendaires. Diantre ! La surface des médias se fait Bastille et peau de chagrin, faudra-t-il les armes prendre, les pendront-ils ?
Reprenons, raison gardons et consorts. C’était de toute évidence un vote, il fut pourtant dépeint sous des couleurs insurrectionnelles. C’était bien un assentiment à la geste de notre douce République, néanmoins cet assentiment fut tôt représenté comme un acte brutal : l’image de la « gifle » a fait trembler tous les organes. L’un des deux bulletins proposés l’emporta (c’est souvent le cas, notons), il faudrait y lire une déclaration de guerre. C’est-à-dire donner d’épiques contours à la consultation, c’est-à-dire nager dans l’hyperbole, figure décrite par toutes les rhétoriques comme consistant à amplifier la réalité, pour rendre celle-ci plus saisissante, et donc saisir l’auditeur conquis.
Cette amplification n’est pas un trait inusité du discours gouvernant, c’en est devenu l’une des figures rituelles. Dès lors qu’on sent un frémissement de refus, le balbutiement d’un non, il convient de suggérer la tempête et la jacquerie, dans leur éventuelle sauvagerie. C’est inepte et voyant mais ça marche : le manifestant s’empresse de se désolidariser du « casseur », l’usager tolère le droit de grève dès lors qu’il ne dégénère pas en « droit de blocage », etc. Autant de fins distinguos qui font la forme des propos prétendument modérés, et qui ont pour seul objet d’inscrire les travers de la violence irraisonnée au cœur de toute contestation. Une violence qui viendrait, pauvre de nous, aujourd’hui enlaidir nos bels isoloirs, d’où l’archaïque en short jette son bulletin comme un vulgaire caillou.
Mais peut-être que ces hyperboles ne sont pas tout à fait imputables à une stratégie. Mais peut-être que certains les manipulent innocemment, sans percevoir même, nigauds, qu’ils déforment la réalité. Rousseau peut en ce sens nous aider à garder espoir : dans son Essai sur l’origine des langues, il conteste l’idée commune selon laquelle les figures du langage constitueraient le fruit d’une élaboration artificieuse ; bien au contraire, « le mot figuré vient avant le mot propre, lorsque la passion nous fascine les yeux ». Quelle passion ? Eh bien, par exemple, « un homme sauvage en rencontrant d’autres se sera d’abord effrayé. Sa frayeur lui aura fait voir ces hommes plus grands et plus forts que lui même ; il leur aura donné le nom de géants ». Hé hé. Serge July, Christine Ockrent, Guillaume Durand, Jean Lebrun, Philippe Val… : ils ont ces jours-ci quelque parenté avec notre homme sauvage. Des têtes à ramener fissa provisions de farine et démocratie dans leur caverne.
Gilles Magniont
Avec la langue Mini révolution, maxi trouille
juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65
| par
Gilles Magniont
Un encourageant parcours de l’hyperbole, depuis les hautes sphères européennes jusqu’à nos hexagonales cavernes.
Mini révolution, maxi trouille
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°65
, juillet 2005.