Une pièce sombre, sise en haut d’une tour (château fort ou siège d’un grand groupe). Au loin, des bruits inquiétants, entre muezzin et jingle. Alan Fink se tient dans la pénombre, griffonnant de temps à autre. Michael Onf arpente la pièce et jette parfois des coups d’œil impatients en contrebas.
MICHAEL : Tu vas signer ?
ALAN : Sais pas. Je me demande s’ils insistent assez sur la barbarie.
MICHAEL : Il y a le mot, quand même ?
ALAN : Six fois. Mais bon.MICHAEL : Hmm Hmm. (Il allume quelques instants la télé, on entend un générique : « Maintenant David Vincent sait que les Envahisseurs sont là, qu’ils ont pris forme humaine et qu’il lui faut convaincre un monde incrédule que le cauchemar a déjà commencé… » 1). Vraiment obscurantiste, cette série… Tu sais, moi, du moment qu’ils parlent de la « hideuse figure de l’intégrisme religieux », ça me va.
ALAN : T’as peut-être raison… N’empêche, il manque quelque chose.
MICHAEL : Voltaire ?
ALAN : Non, non, il y est… Question références, on a le compte. Mais ça ne suffit pas. Il faudrait quelque chose de plus saisissant, de plus fort… Pour que les gens se rendent vraiment compte.
MICHAEL, qui a visiblement du mal à se concentrer : Ha ouais ? Tiens au fait (il fouille dans sa sacoche), je voulais te le prêter (il lui tend un livre).
ALAN, lisant la quatrième de couverture : « Il revient. Il va mettre des mois. À franchir hauts plateaux, savanes et forêts du Grand Sud vénézuélien. À se battre contre la boue, l’épuisement, le désespoir. À gagner l’océan et à retrouver peu à peu la société des hommes. Une double pensée le hante et le pousse. Qui l’a mis là ? Qui l’a jeté, il y a près de trois ans, dans cette colonie pénitentiaire du bout du monde où il devait mourir ? Et pourquoi ? 2… » C’est pas un peu sous-culture, quand même ?
MICHAEL : Ça délasse.
ALAN : Mais ça ne nous avance guère. Écoute : tant qu’à signer, je crois qu’on devrait proposer un texte plus fort.
MICHAEL : Plus fort… Mais comment ?
ALAN, s’énervant un peu : Un texte qui fasse prendre conscience de ce qui est en train de se passer, te dis-je ! Un texte sans concessions. Un texte qui engage.
MICHAEL : Hmm Hmm. (Il se dirige maintenant vers un poste de radio, semble chercher une station on entend un peu de musique, des éclats de voix, une publicité : « Une maladie, un décès, une invalidité ou une perte d’emploi et tout à coup votre vie bascule… 3 ») C’est quoi déjà, la fréquence de France Cul ?
ALAN, l’air soudain saisi par une idée : Attends… Laisse-moi réfléchir… Oui ça y est. (Il écrit à toute vitesse) Lis.
MICHAEL, se saisissant de la feuille, la déchiffrant à voix haute : « Robert Redeker a vu son existence basculer, et vit désormais en homme traqué. Car telle est bien la sinistre réalité… (un temps)… c’est toute une existence qui est brisée, et qui bascule, de façon irréversible, dans la terreur… (un temps)… la mort peut surgir n’importe quand, n’importe où, sous n’importe quel trait » 4. Épatant.
ALAN : Comme tu dis. Là, je crois qu’on aura davantage de poids.
MICHAEL : Sûr… Bon, je te laisse, j’ai du boulot. J’enregistre un cours. La traque à l’hédoniste dans les souterrains de l’institution. Je te dépose ?
ALAN : Non, non, j’ai à faire moi aussi. Une édition augmentée.
MICHAEL : De ?
ALAN : La Pensée prend une branlée.
1 The Invaders (chez TF1 Vidéo)
2 La Danse du Fou (Gallimard, « La noire »)
3 Spot AGF Assurances
4 Pétition de soutien à Robert Redeker (www.gaucherepublicaine.org)
Avec la langue On signe !
novembre 2006 | Le Matricule des Anges n°78
| par
Gilles Magniont
(manifeste dramatique pour un art de la pétition éclectique)
On signe !
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°78
, novembre 2006.