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Domaine étranger Une vie bon marché

février 2008 | Le Matricule des Anges n°90 | par Marta Krol

Outre la compassion et l’émotion qu’elle suscite, l’Autrichienne Christine Lavant esquisse avec La Mal-née une brève étude de l’humain.

L’histoire du récit est plus compliquée que celle qu’il raconte : publié seulement en 1998 alors qu’il date des années 30, ce texte, parmi d’autres proses de l’auteur, a souffert d’inerties inexpliquées de l’édition, Christine Lavant (morte en 1973) étant en revanche largement reconnue en Autriche, de son vivant, pour son œuvre poétique, y compris par Thomas Bernhard qui lui consacre une anthologie. Sans que cela eût transformé une vie éprouvée par la maladie, la pauvreté et le poids du dogme catholique.
La Mal-née retrace une vie aussi brève que sombre, celle d’une petite fille dont la mère, Wrga, est une servante née dans la plus basse indigence qui soit. Elle est mal née parce que conçue dans le péché - ou dans le viol - et stigmatisée à tout jamais, dans l’obscurantisme achevé de son milieu rural, par le prénom infamant (pour des raisons liées à l’histoire du pays) de Zitha. Elle est aussi muette, à part les deux ou trois vocables que la vie lui arrache dans des moments de sa plus forte intensité. Aux yeux d’un homme, Lenz, aveuglé par la haine gratuite et par la peur, cette présence inutile devient la forme même du mal : la fillette serait le « changeon », trace de l’action des mauvais esprits qui auraient enlevé le vrai enfant de Wrga ; aussi essaiera-t-il de la supprimer.
Pas grand-chose finalement, historiette misérabiliste dont des versions plus modernes abondent dans les journaux en mal de nouvelles. Seulement, le lecteur accède à travers ces quelques pages à un monde. Monde que l’on voudrait bien dire autre, si son altérité n’était finalement pas relative, et en tout cas à un monde certain : celui des hommes et des femmes empêtrés, si bas et élémentaire que soit le niveau de leurs existences, dans des relations de pouvoir, d’ambition et de manipulation, inscrits dans une hiérarchie sociale qui détermine, définitivement, l’horizon de leur action : s’arracher de sa propre classe, se hisser à la marche au-dessus. Soit, devenir « femme de fonctionnaire », ou boire une chope de bière avec les Messieurs. Et admettre dans sa vie cette part d’ignominie, d’humiliation et de servilité qu’on doit avoir méritée, et que l’on supporte au nom de sa nouvelle condition.
Car, si cette nouvelle vous secoue, c’est à cause de l’indiscernabilité profonde du bien et du mal, et du continuum qu’ils forment ensemble. La mère a failli, à plusieurs reprises, devenir infanticide. Le criminel a manqué, finalement, de sauver sa victime. Le chien jadis déchaîné sauve l’enfant. Une petite fille innocente est capable de violence. Une existence de pauvreté et de solitude totales est « une vie merveilleuse » parce qu’ « il n’y avait personne pour la battre ». Une mort injuste, une vie sacrifiée, à peine passée sont déjà oubliées. Oui, nous sommes sans doute, dans les spots de la modernité, moins superstitieux ; et nous aimons tant, haut et fort, « tolérer ». Plus subtils aussi, dans nos paroles et agissements, que les protagonistes plongés dans la crasse ignorance d’un coin de la campagne autrichienne au début du XXe siècle. Mais probablement tout autant exposés aux fluctuations contingentes de notre sens éthique, à la polymorphique et tentaculaire présence du mal qui ne mérite presque pas son nom tant il se confond avec la vie même.
Zitha est le passif réceptacle de ces énergies-là, à la fois effrayante dans son indifférence au malheur, et touchante par la grandeur avec laquelle elle s’extrait dans son propre univers, formé de, en toutes lettres, deux modestes jouets. C’est là aussi une réussite du récit : de convaincre le lecteur de la réalité de ce monde intérieur qui relève d’un miracle, dans un environnement d’une pauvreté matérielle et spirituelle extrêmes. La « mouflette » est un petit animal farouche, reconnaissant que l’on veuille bien jouer avec elle, en retrait devant ceux qui la persécutent, méfiante y compris envers sa mère, aimante y compris envers une demi-sœur choyée. Biographique ou pas, qu’importe : ce petit livre renferme une part de vérité sur ce que nous ne voulions pas toujours savoir.

La Mal-née de Christine Lavant
Nouvelles éditions Lignes, 95 pages, 12

Une vie bon marché Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°90 , février 2008.
LMDA papier n°90
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