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L'Anachronique Il y a le ciel, die Sonne und das Meer

juillet 2008 | Le Matricule des Anges n°95 | par Éric Holder

En juin, d’un certain point de vue, l’on a annoncé en France le retour de discrets migrateurs - discrets, aimables, mesurés et timides souvent, les Allemands. Au beau milieu de l’année ont eu lieu en effet les épreuves du bac philo. Depuis des milliers de bureaux s’est élevé un appel muet, qui convoquait Hegel, Kant, Heidegger, Nietzsche. « Non, pas ces deux derniers », m’assure un être merveilleux, et versé dans la chose. Il n’y aurait, à tout prendre, qu’une quinzaine de vrais philosophes, parmi lesquels Platon, Spinoza, Descartes et le génial Leibniz.

 Même pas Nietzsche ?

 Pourquoi pas Hölderlin ou Mörike ? Nietzsche était un poète !
Tenons-nous le pour dit et rêvons d’un bac poésie. En tout cas, j’aime croire que c’est à cause des prières qui montaient des lycées de Bretagne ou d’Auvergne, à bord de berlines que le monde leur envie, que rappliquent nos voisins de Bavière ou de Souabie. Ils sont partout. Pas un village perdu, inaccessible, caché, par exemple, dans une boucle de la Truyère (Lozère), qui n’aie reçu leur visite, à moins qu’ils y résident, voire administrent le camping du coin - car, pour nos amis d’outre-Rhin, rien n’est trop vert ou trop sauvage. « Allemand » vient d’ala man, all men : tous les hommes. Les hommes sont maintenant partout, après tout.
J’ai mené ma petite enquête. Pourquoi s’exportent-ils avec autant d’assiduité en juillet-août, et peut-être pour la vie ? S’il n’y avait qu’en France… Mais en Espagne, en Afrique, en Asie ! Grâces soient rendues à Sally-Anne, Stefan 1 et 2, Rahela, Manilla, Justus - non, les Allemands ne s’appellent pas tous Günter ou Bertha - d’avoir répondu à cette question, et surtout à la délicieuse Elisabeth, qui habite à cent mètres de chez moi. Si Elisabeth est délicieuse, c’est qu’elle a transformé le paysage dans les limites de sa propriété bornée par aucun enclos. L’herbe, plus tendre ici qu’ailleurs, donne envie de s’allonger et de lire, les nombreuses fleurs, d’être respirées. On ne saurait dire pourquoi, certains soirs, les pins qu’elle a mis en valeur jettent sur le ciel une lueur d’espoir. Willkommen zu Hause. Bienvenue à la maison.
Il y a donc le ciel, à 180°, pour ceux que la montagne étouffe, die Sonne (le soleil) et das Meer - avec une préférence pour l’Adria, qui ferait office de yang si la Baltique était le yin. Das Klima, die Wärme (la chaleur).
Mais enfin, tous les hommes ne sont pas des tournesols, et bientôt l’on évoque la recherche de la perfection à laquelle, paraît-il, « là-haut », chacun est tenu de s’astreindre. Le cent pour cent serait usant. Dali, qui la pratiquait pourtant, écrivait : « Ne craignez pas la perfection, elle n’existe pas ». Etwas zu perfekt, dit plus simplement Elisabeth, génère une angoisse, un stress dont, à échapper, on gagnerait le sentiment, non de perdre, mais de gagner son temps.
Une antienne revient : « Vous les Français, surtout ne changez pas ! » Ce qu’elle est agréable à entendre ! On dirait que notre femme ne nous reproche ni l’apéro ni la pétanque. Qu’elle encouragerait même notre nonchalance. Son regard devient perçant, comme lorsqu’elle nous soupçonne tout à coup d’être stupide. « Je disais seulement : ne te mets pas à vouloir devenir performant, au mépris du bonheur que tu me donnes. »
Dans notre pays transformé en quartier de l’Europe, la vie serait aussi moins coûteuse, les taxes, les impôts, moins élevés, et la perspective d’un nouveau départ - à vingt ou soixante ans - plus accessible. Comment ne pas être séduit a priori par des personnes qui rêvent d’une autre existence, ailleurs ? Et si l’on est soi-même indécrottable (« Surtout ne changez pas »)…
L’Allemagne serait-elle désertée en été ? Que nenni. L’étalement des vacances, différentes selon les Länder, y est pour beaucoup. Quand les prendra-t-on en Rhénanie-Westphalie, précisément à Düsseldorf, à Cologne, à Essen où j’ai, quant à moi, laissé un peu de mon cœur, au point que le reste voudrait l’y rejoindre ? Du 23 juin au 7 août, m’apprend un correspondant. Rassure-toi, écrit-il, il n’y aura qu’un peu moins de monde, le matin, sur les marchés qui n’ont rien à envier à ceux de Provence. Tu y trouveras toujours des mémés joyeuses et bariolées - corsage rose, jupette jaune - qui effectuent leurs courses en tirant un pékinois enrubanné.
La nuit sortent des putes tatouées des pieds à la tête, comme des Maoris, qui trinquent à la bonne franquette avec de petits comptables heureux de leur nouvelle cravate. Des gars taillés en buffet, au deuxième verre, te serrent à t’étouffer. Des files d’attente se forment encore devant les passages cloutés, n’y aurait-il aucune voiture dans la rue - mais de plus en plus de jeunes gens tendent à les griller. Les jeunes filles, en cette saison, promènent le maximum de peau avec une telle fraîcheur, une telle innocence, qu’elles finissent par ressembler à des divinités de l’eau. Le respect mutuel est décidément une condition de la liberté.
Dans les échoppes où l’on achète de tout, des journaux, de la bière, des bonbons, les habitants alanguis par la chaleur viennent prendre des nouvelles du quartier. Au-dessus du cours sinueux de la Ruhr, sur les hauteurs d’Essen, les charmilles ont poussé. Tu te rappelles ce qu’il faisait doux, parmi elles, commander un vin blanc et regarder les bateaux passer ? Je t’apprenais le nom du rossignol dans ma langue - die Nachtigall -, et toi, qu’il chante moins qu’il ne « gringotte » en français. C’est un beau pays pour les vacances, tu sais, l’Allemagne.

Il y a le ciel, die Sonne und das Meer Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°95 , juillet 2008.
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