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Vu à la télévision Blouses blues

novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98 | par François Salvaing

Maintenant que l’alerte est passée, on peut le révéler aux siens : Timothée a frisé l’apoplexie à la fin de l’été. C’était vers le milieu du dix-huitième épisode de la quatorzième saison d’Urgences. Timothée s’était mis à soupçonner les scénaristes de préparer l’éjection de son personnage préféré, Abigail Wyczenski Lockhart surnommée Abby : ils lui avaient fait poser sa candidature dans un autre hôpital, hors champ, au prétexte qu’au Cook County elle ne parvenait pas à obtenir sa titularisation. Or Timothée était pour ainsi dire né à Urgences en même temps qu’Abby. Il ne s’était laissé convaincre de jeter un œil sur la série par un très féminin chœur de fans qu’à la fin du siècle dernier, au milieu de la sixième saison. Et c’est précisément alors qu’était apparue, en infirmière venue de l’obstétrique, Abby. Et en somme ils avaient traversé la dernière décennie ensemble, Abby et lui. Timothée savait tout de la carrière d’Abby (études reprises lors de la dixième saison, interne dès le début de la onzième) comme de sa vie privée (de l’aristocratique Carter à l’immigré Kovac, de l’alcoolisme à la maternité). Abby, la douceur, la douleur mêmes. Et de capricieux pisse-copie prétendaient nous la virer !

Il n’en fut rien, les protestations déferlèrent sûrement de l’Alabama au Botswana, du Colorado à la Colombie, du Michigan au Minervois, et les scénaristes félons durent attribuer in extremis à l’emblématique Abby le statut qu’elle réclamait au Cook County. La tension de Timothée retomba. Mais au cours de cette quatorzième saison, il avait contracté, telle une maladie nosocomiale, la nostalgie des blouses. En attendant la quinzième et paraît-il ultime, il chercha, trouva aisément (les programmes en étaient prodigues) des ersatz d’Urgences. Las ! Le Dr House, si brillant, sarcastique et drogué qu’il s’efforçât de paraître, n’était qu’un Sherlock Holmes à scalpel. Hélas ! Même juchées les unes sur les autres, les Meredith, Cristina et Izzie de Grey’s anatomy n’arrivaient pas à la cheville de l’humanité d’Abby.

Timothée se rabattit sur les documentaires, les blouses y abondaient, en vérité. Loin derrière le personnel policier, mais en concurrence avec les gens de justice, le personnel soignant constituait l’une des populations les plus représentées à la télévision. Par exemple, vous tombiez sur un anniversaire de Papy. Le Papy en question s’avérait, à cinquante-neuf ans, un cardiaque en attente de greffe, et l’une de ses filles une infirmière de profession. Et Patricia racontait que, l’autre nuit, de garde à l’hôpital, on était venu lui demander, d’urgence, des glaçons. C’était pour conserver à l’adéquate température un organe. « Si ça se trouve, c’est le cœur pour mon papa », avouait-elle s’être dit. Et puis, non… Tous de lever leur verre à ta santé, Papy.

Timothée courut dans des couloirs bleuâtres ou verdâtres derrière Des Femmes en blanc, internes débutantes, se pencha avec elles sur une fillette tombée d’une table à langer. Puis, ça va aller, ça va aller, sur la mère au visage dévasté par l’angoisse et la culpabilité. Puis sur les chances de survie d’un vieillard comateux, hémorragie cérébrale généralisée. Puis… Un autre soir, dans Strip-tease, il suivit les phases de la décision chez le chef de service d’un hôpital belge, fallait-il ou non opérer ce type ? Et le professeur en question d’expliquer le pourquoi de sa lenteur. Pour rien au monde, il ne conseillerait à ses enfants de reprendre son flambeau, une seule erreur opératoire aujourd’hui pouvait vous conduire à la ruine et à l’esclavage, devant le volume des indemnités réclamées en cas d’accident, les assurances étaient hors de prix ou même refusaient de vous couvrir.

Drôle d’automne. Timothée n’y rata presque jamais le quotidien Magazine de la santé. L’émission était l’une des rares d’information qui ne lui filât pas instantanément des boutons ou des plaques. Les présentateurs formaient un couple de pédagogues sans pédantisme, de vulgarisateurs sans vulgarité. Ils dirigeaient avec une autorité souriante une escouade de jeunes chroniqueurs qui ne dissipaient pas, comme sur tant d’autres plateaux, leur énergie à exhiber leur jeunesse, mais accomplissaient leur tâche avec une prompte et sobre clarté. Timothée apprenait comment fonctionnait et dysfonctionnait telle membrane, où en était la recherche sur telle endémie. Il entendait des bouches les plus autorisées que l’état des hôpitaux publics français se rapprochait de plus en plus de celui des hôpitaux d’Afrique, qu’aux États-Unis quarante-cinq millions de personnes vivaient sans « couverture-maladie », ou que les premières conséquences du Tsunami économique en chemin apparaîtraient aux urgences : montée des crises d’angoisse, d’alcoolisme, de violences conjugales…

En revanche, sous prétexte qu’ils n’officiaient pas en blouses mais en costumes trois-pièces, Timothée s’obstina à fuir pendant cette même période le défilé des soignants, par 4, 7, 8 ou 27, au chevet du monde. Il devina tout de même, de loin, que le capitalisme, pourtant la santé même, avait été par eux placé sous perfusion massive, ses agents contaminants mis aux petits soins intensifs, et que leurs victimes (emplois, salaires, pensions, épargne, services publics) étaient promises à la chirurgie, pour d’amples amputations.

Blouses blues Par François Salvaing
Le Matricule des Anges n°98 , novembre 2008.